Obama à la découverte du géant russe
Le président américain, symbole du dynamisme démocratique des États-Unis, place sa visite dans la patrie de Poutine sous le signe du pragmatisme.
On dit souvent que Barack Obama ne connaît rien de l’Europe et que ses priorités et affinités le portent plutôt à s’appesantir sur l’arc de tension majeur qui court de l’Afrique jusqu’au Pakistan. Que dire alors de la Russie, cet énigmatique et lointain pays continent, mi-européen mi-asiatique, dont le nouveau président américain foulera le sol lundi pour la première fois de son mandat ? Le pays de Pouchkine et de Poutine est sans aucun doute aussi exotique pour Obama qu’Obama, le métis symbole du dynamisme démocratique de l’Amérique, l’est pour la Russie.
La politique russe du nouveau président n’en sera que plus pragmatique. Alors que, depuis Reagan, ses prédécesseurs avaient fait de la «gestion de la transition» à l’est de l’Europe un enjeu essentiel, Barack Obama semble avoir identifié la Russie non pas comme un sujet en soi, mais comme l’un des acteurs clés d’un puzzle géopolitique complexe ; comme un pays majeur disposant d’une vraie capacité de nuisance et de blocage, mais susceptible, si l’on s’y prend bien, de contribuer à dénouer les dossiers explosifs – Iran, Afghanistan, Pakistan, Moyen-Orient, Corée du Nord – que Washington va devoir gérer dans les prochains mois. «L’idée est de ne plus voir la Russie comme un problème que l’Amérique devrait régler, mais comme un pays partenaire avec lequel on va s’efforcer d’aborder les sujets cruciaux», explique Sarah Mendelson, spécialiste du monde russe au Centre d’études internationales et stratégiques (Csis) de Washington.
Cette approche délibérément conciliante, en phase avec celle de la France ou de l’Allemagne, se veut en rupture avec celle de l’Administration Bush, trop prompte, selon l’équipe Obama, à distribuer des bons ou mauvais «points» de démocratie à travers l’espace post-soviétique. «Nous allons travailler à recréer une relation russo-américaine substantielle», a expliqué à la veille du voyage Michael McFaul, l’expert es Russie de la Maison-Blanche. «J’insiste sur le mot “substantielle” par opposition au mot “bon” ou “mauvais”, a-t-il poursuivi. Nous voulons faire affaire avec les Russes sur les sujets qui concernent notre sécurité nationale commune et notre prospérité.»
La question du désarmement nucléaire
Pour mettre en musique cette nouvelle ère de dialogue sans sentiments, destinée à réparer une relation «à la dérive», la nouvelle Administration a sorti de sa boîte à outils diplomatiques la notion de «redémarrage». Lors d’une rencontre à Genève en mars, la secrétaire d’État, Hillary Clinton, offrait même à son homologue Sergueï Lavrov, un peu surpris, une manette avec un bouton qu’ils ont tous deux actionnée symboliquement en signe de bonne volonté. Puis le 1er avril, Barack Obama, de passage à Londres pour le sommet du G20, rencontrait son homologue Dmitri Medvedev pour définir toute une liste d’aspirations communes. Les deux hommes, qui semblent s’être plutôt bien entendus, se sont notamment mis d’accord pour relancer un round de négociations sur le désarmement nucléaire dans le but de signer avant la fin de décembre un accord stratégique, en remplacement du traité Start, qui arrive à expiration. L’objectif d’une réduction substantielle des arsenaux, qui mènerait les deux parties à accepter un plafond de 1 500 têtes nucléaires, a été évoqué, mais aucune avancée majeure n’est prévue selon la Maison-Blanche pendant le sommet, vu les difficultés techniques de comptage des ogives et la question, épineuse, des vérifications. Moscou semble continuer de vouloir lier cette négociation à la question du déploiement d’un bouclier antimissile américain en Europe, qu’elle récuse. Washington souhaite dissocier les deux sujets, suggérant plutôt que la discussion du bouclier soit couplée avec celle de la menace nucléaire iranienne. Si cette menace disparaît, le bouclier n’aura plus de raison d’être, indique la Maison-Blanche, manière de pousser Moscou à joindre ses forces à celles des Occidentaux pour amener Téhéran à renoncer au nucléaire militaire.
Rien n’indique pourtant que la Russie soit prête à aider l’Amérique sur ce dossier majeur. Pour le Kremlin, la relation stratégique et commerciale très spéciale entretenue avec l’Iran des mollahs est un levier géopolitique précieux, qu’il continue d’actionner en toute ambiguïté, sans se résoudre à adopter une position claire sur la question d’éventuelles sanctions. L’accueil chaleureux qu’a reçu le président Ahmadinejad en Russie au lendemain de son élection contestée et de la répression menée par le pouvoir iranien contre la marée des opposants au régime en dit long sur les priorités de la direction russe. Face aux menaces de révolution populaire, les régimes autoritaires font corps. Surtout, «on peut se demander si un Iran nucléarisé, aussi dangereux soit-il, n’est pas une option plus acceptable pour le Kremlin qu’une réconciliation irano-américaine qui amoindrirait drastiquement son poids énergétique», notait récemment une source au département d’État.
Au-delà du discours d’ouverture, ces bémols, de même que le rôle plus que trouble joué par Moscou dans l’affaire de la fermeture de la base américaine au Kirghizstan – cruciale pour l’approvisionnement des «boys» en Afghanistan -, ont quelque peu douché les bonnes résolutions de la Maison-Blanche. «J’étais l’un des partisans les plus enthousiastes de la notion de “redémarrage”», explique Andrew Kuchins, autre expert influent du Csis. Mais il y a une vraie faille dans cette approche. Un nouveau leader est bien apparu à Washington, mais il n’y a pas eu de changement de leadership à Moscou. Le tandem Poutine-Medvedev est une fiction… Sur tous les sujets, c’est Poutine qui décide. Il est donc plus que douteux que les Russes soient prêts à un véritable redémarrage de la relation avec l’Amérique.» «Nous devrions avoir des attentes faibles pour ce sommet», en conclut-il, exprimant un avis assez largement partagé.
Dialogue direct avec la société civile
C’est notamment le sentiment du chercheur américain David Satter. Pour lui, en optant pour la notion de redémarrage, l’équipe Obama a fait preuve d’une certaine naïveté et renversé les termes de l’équation russo-américaine. «On se comporte comme si cette relation s’était dégradée à cause de l’Administration Bush. Mais les problèmes bilatéraux sont apparus en raison des changements internes liés à l’arrivée de Poutine au pouvoir et au changement de cap de la politique russe, qui ne reconnaît plus les valeurs démocratiques», explique-t-il, prédisant qu’Obama butera lui aussi sur ce même problème de valeurs et de dérive autoritaire intérieure russe.
La Maison-Blanche est consciente du problème. Dans son briefing, avant le voyage, le conseiller McFaul a reconnu que «les États-Unis étaient considérés en Russie comme un adversaire, voire pire. Ils pensent que notre objectif numéro un dans le monde est de rendre la Russie plus faible, de l’encercler. Le président dira que ce n’est pas la manière dont il voit cette relation.»
C’est ainsi que Barack Obama, poursuivant une tradition déjà bien établie, prononcera un discours majeur sur les relations russo-américaines et la manière dont les deux grands doivent «aborder les problèmes du XXIe siècle». Ce discours sera l’occasion d’engager un dialogue direct avec la société civile russe, précisent les experts. Les grands problèmes du monde, mais aussi les droits de l’homme et la démocratie seront abordés par le président. Obama ne veut pas se poser en donneur de leçons mais il n’entend pas éluder non plus ces questions fondamentales, qu’il évoquera aussi lors de plusieurs rencontres avec des représentants des partis, des intellectuels et des militants des organisations non gouvernementales. Il doit également donner une interview au journal d’opposition Novaïa Gazeta, dont plusieurs journalistes ont été assassinés.
Mais nul ne sait vraiment comment son discours sera reçu. Selon les statistiques d’une enquête menée par l’Université du Maryland, il apparaît que les Russes sont, à travers le monde, parmi les plus sceptiques vis-à-vis du phénomène Obama. Le matraquage antiaméricain permanent qu’exerce le Kremlin à travers les grandes chaînes de télévision ne contribue pas à changer les stéréotypes. Et il est douteux que le discours du président des États-Unis puisse avoir sur la «rue russe» les mêmes effets que celui du Caire sur la «rue musulmane», puisqu’il ne sera rediffusé que sur RTVi, une chaîne marginale.
Même si Barack Obama n’est pas aussi impliqué dans la démocratisation de l’est européen que l’était son prédécesseur, son équipe a dès son arrivée au pouvoir affirmé qu’elle n’accepterait jamais la notion de sphère d’influence que revendique le Kremlin. La visite qu’effectuera le vice-président, Joe Biden, en Géorgie et en Ukraine pour y réaffirmer le soutien de l’Amérique deux semaines après le voyage d’Obama en Russie n’a, en ce sens, rien d’anecdotique. «La porte de l’Otan reste ouverte pour Tbilissi et Kiev et… l’Amérique n’a pas l’intention de marchander avec les Russes sur le dos d’une troisième personne», a insisté cette semaine le conseiller Michael McFaul, en réponse à une question sur l’élargissement de l’Alliance et le bouclier antimissile. Autant d’éléments qui montrent les limites dans lesquelles va s’inscrire l’ouverture américaine à Moscou. Barack Obama, le grand conciliateur, va tendre la main. Pas la joue.
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