Que de changements un an après l’installation de Barack Obama ! En janvier 2009, l’Amérique célébrait avec enthousiasme l’entrée de son nouveau président à la Maison Blanche ; elle est aujourd’hui dubitative et plus divisée que jamais. Quelque 68 % des Américains approuvaient l’action qu’il s’apprêtait à engager, expérience faite, ils ne sont plus que 49 %.
L’économie était en chute libre et l’on craignait la répétition d’une Grande Dépression. Aujourd’hui, la reprise est là, les marchés financiers ont récupéré le terrain perdu, mais le chômage est au-dessus de 10 % et, pour beaucoup, la précarité sème l’inquiétude. Economie et politique sont plus que jamais étroitement entremêlées. La victoire de Barack Obama était indiscutable, mais quel était au fond le mandat que lui avaient confié les électeurs ? Peut-être y a-t-il eu malentendu ?
La défaite des démocrates pour pourvoir le siège laissé vacant par la mort de Ted Kennedy manifeste en tout cas avec éclat la perception majoritaire que “le pays n’est toujours pas sur la bonne voie”. L’avenir politique de Barack Obama est de nouveau dans la balance ; le Sénat risque d’être paralysé, et tous les yeux sont désormais fixés sur le prochain renouvellement de la Chambre des représentants : une grande bataille est attendue pour novembre 2010, elle est déjà engagée. Après dix-huit mois de turbulences économiques et politiques, comment l’Amérique prépare-t-elle son avenir ?
Barack Obama a hérité de la situation économique la plus dangereuse observée depuis les années 1930. Les esprits étaient saisis de panique, le PIB reculait à un rythme de 5 % en termes annuels ; les destructions nettes d’emplois se chiffraient à plus de 500 000 par mois ; la finance était au bord du gouffre. Le président a pris le défi économique à bras-le-corps : “Il y a une gravité et une intensité en ce jour, c’est extraordinaire”, a résumé un observateur au moment où la nouvelle équipe prenait ses fonctions et engageait un plan de relance massif de plus de 700 milliards de dollars.
Après les hésitations de l’administration Bush, le Trésor, emmené par son nouveau secrétaire, Tim Geithner, trouvait par ailleurs le cheminement qui allait enfin dégager l’horizon financier. A en juger par les résultats, il fait peu de doute que Barack Obama et son équipe ont pris les mesures qui ont évité une dégradation cumulative de l’activité, une répétition de ce que l’on avait observé entre 1930 et 1932.
Mais cela n’a pas empêché le chômage – et l’inquiétude générale qui l’accompagne – de progresser, de 7,5 % à 10 % (en réalité, bien plus à cause des travailleurs “découragés” qui s’excluent eux-mêmes du marché du travail). La désaffection des électeurs démocrates tient en grande partie au sentiment que la nouvelle administration n’a pas entrepris tout ce qui pouvait l’être pour mettre fin à ce cauchemar.
Dans le même temps, on a très vite vu la fracture politique s’approfondir. Les républicains ont tiré de l’échec de John McCain la conclusion qu’ils avaient perdu pour avoir renoncé au populisme radical tardivement incarné par Sarah Palin, “pro-life, pro-gun, pro-America”. Contrairement à la longue tradition politique du Sénat, la main tendue par la majorité n’a jamais été saisie. L’opposition républicaine s’est radicalisée, et l’été 2009 a vu la multiplication des town events et autres tea parties violemment hostiles au nouveau président. Tom Friedman, éditorialiste vedette du New York Times a écrit : “Ce que nous avons vu en provenance de l’extrême droite, c’est un procès qui met en cause sa légitimité, c’est un climat extrêmement dangereux, qui rappelle ce que l’on avait vu en Israël dans les mois qui précédaient l’assassinat de Rabin.”
Propos qui font frémir quand on connaît l’histoire de la violence politique aux Etats-Unis. Malgré le désastre auquel ont abouti les huit années de politique économique républicaine, malgré le mouvement qui entraînait l’économie laissée à elle-même vers l’abîme, aucune mesure n’a trouvé grâce, l’hostilité à toute intervention gouvernementale définit en tout et pour tout la plate-forme républicaine.
La Maison Blanche a, dans ce contexte, une obsession : éviter le sort de Bill Clinton, brillamment élu en 1992 et faisant face dès 1994 à une défaite législative qui installait, pour quatorze ans, une forte majorité républicaine au Congrès. Eviter ou, au moins, limiter le recul traditionnel du parti du président aux élections mi-mandat, c’est le fil rouge qui donne sens à toutes ses initiatives. Les critiques, depuis neuf mois, ont été innombrables : socialiste pour certains, dans les mains de Wall Street pour d’autres, trop de priorités, pas assez d’implication personnelle, incapable de trancher, sacrifiant la sécurité de ses concitoyens à des idéaux abstraits ou au contraire renégat en matière de droits de l’homme et de libertés, que n’a-t-on pas entendu ? ! Et pourtant, le cheminement est assez clair, : cette présidence n’est pas hésitante, elle est méthodique. En 2009, après la relance, il y aurait deux dossiers – et deux seulement – qui domineraient tout l’agenda politique : l’Afghanistan et la santé
Aux Etats-Unis plus qu’ailleurs, le président signe son suicide politique s’il prête le flanc à l’accusation de faiblesse. La priorité étant d’extraire l’Amérique du bourbier irakien, il n’y avait pas d’autre issue pour le candidat que de choisir le terrain où, président, il ferait la démonstration de sa fermeté, ce serait l’Afghanistan.
Malheureusement, la dégradation de la situation militaire a créé une situation politique plus que délicate en ne permettant guère d’autre choix que le renforcement peu populaire des troupes. D’où les très longs préparatifs qui ont certainement eu pour but de définir ce que serait, à un horizon raisonnablement proche, une situation sur le terrain telle que l’on pourrait “déclarer la victoire” et organiser le retour des boys et, en attendant, apprivoiser l’opinion publique. Le risque d’enlisement a été bien pesé mais cette équation apparemment insoluble a été résolue – au moins temporairement ; décision bien adaptée d’autant plus qu’après l’attentat manqué de décembre 2009, il faut s’attendre à voir les questions de sécurité alimenter les craintes populaires et les joutes politiques.
La santé, promesse centrale de la campagne, c’est la mère de toutes les réformes, celle qu’aucun président n’a réussi à faire aboutir depuis un demi-siècle. Des mois d’efforts ont permis de dégager un compromis qui avait toutes chances d’être adopté par le Congrès. Les tirs de barrage républicains ont pourtant été d’une rare violence ; il avait aussi fallu surmonter d’innombrables divergences de vues entre démocrates. Le président a été critiqué pour ne pas avoir exercé un leadership suffisant, mais cette accusation est mal placée.
Il n’y a pas de réforme possible aux Etats-Unis sans mettre d’accord les différentes factions permettant de réunir une coalition de soixante votes au Sénat. La Maison Blanche a constamment oeuvré pour relancer l’initiative, mobiliser les élus hésitants, panser les blessures et proposer de nouveaux compromis. Le texte est aujourd’hui en péril, peut-être condamné ; une majorité d’Américains repoussent ce projet – la victoire du candidat républicain dans le Massachusetts en est une illustration – mais le président ne renoncera pas parce que le pays a impérativement besoin de réformes. Ce que révèle en tout cas l’échec désormais probable de cette réforme, c’est le mauvais fonctionnement de la démocratie américaine : le caractère non démocratique du Sénat, le poids exorbitant des lobbies, la nécessité d’acheter le vote des élus un par un et, plus que tout aujourd’hui, la violence des relations partisanes.
L’effondrement du système financier, que beaucoup redoutaient il y a un an, a été évité, mais le président n’en tire guère de bénéfice politique. Rappelons que les mesures massives de soutien adoptées par l’équipe Bush au lendemain de la faillite de Lehman Brothers s’étaient révélées inefficaces. On doit mettre au crédit de Tim Geithner le programme lancé au printemps. Les banques ont été invitées à préparer des tests de résistance permettant de vérifier leur solidité et le Trésor en a validé les résultats. La Réserve fédérale américaine (FED) inondant le secteur financier de liquidités gratuites, la confiance est revenue, les circuits financiers ont été réactivés, c’est ce que chacun attendait.
Et pourtant, ce retour à meilleure fortune suscite, depuis, bien des interrogations et des critiques. Les grandes banques, reconnues “trop grosses pour faire faillite”, sont revenues à leurs comportements passés. Profits et rémunérations sont de retour comme si rien ne s’était passé, ils semblent simplement, désormais, directement financés par l’argent du contribuable : l’opinion publique déjà méfiante à l’égard de l’intervention de l’Etat s’est enflammée en voyant ainsi Wall Street en plein boom, alors que la reprise reste pour l’instant une abstraction pour le plus grand nombre. Procès en partie injuste – où en serions-nous si le sauvetage du printemps avait échoué ? -, mais c’est la perception qu’en ont les électeurs qui règle le jeu politique ; et la réponse au désastre financier fait à cet égard également partie des désillusions de 2009.
Il n’est donc pas surprenant que le président ait déjà repris l’initiative sur ce terrain en renouvelant ses critiques contre les rémunérations “obscènes” et en présentant un projet de taxation des banques d’investissement appelé à les remettre sur le droit chemin. On peut s’attendre à ce que ce soit la prochaine bataille au Congrès.
Après le discours sur l’état de l’Union fin janvier viendra la présentation du projet de budget pour 2011 : le constat est simple, le gouvernement fédéral est exsangue. Le déficit de 2009 a atteint 1 400 milliards de dollars – 11,2 % du PIB – et les perspectives font frémir. Les critiques du président venant de la gauche, comme Paul Krugman, qui en appellent constamment à de nouveaux efforts de relance, continuent à minimiser un danger qui est pourtant proche. La leçon de l’histoire la plus menaçante à cet égard a été tirée par l’ancien chef économiste du FMI dans un livre au titre ironique, This Time Is Different (“cette période est différente”).
En fait, l’issue est toujours la même, la crise financière s’achève en crise fiscale : c’est ce que découvrent avec horreur les électeurs qui regrettent les “bons” déficits, ceux par exemple organisés par l’administration Bush en réduisant les impôts. La contrainte financière est là, les obligations du Trésor deviennent de moins en moins attractives et, fondamentalement, il reste deux acheteurs, la Fed, qui les monétise, et les investisseurs étrangers. La Chine couvrera t-elle éternellement les besoins ?
La Chine, en tout cas, suit de plus en plus près la politique financière de son principal débiteur. Les autorités ont fait publiquement part de leurs préoccupations sur l’avenir de leur épargne placée en dollars et ont même avancé des propositions en faveur d’une nouvelle monnaie internationale. Elles sont aussi, plus discrètement, intervenues dans la préparation du plan santé en exprimant, à l’occasion d’un sommet bilatéral en juin 2009, le voeu que cette réforme aboutisse à une meilleure maîtrise du déficit à un horizon de dix ans.
Lorsque Barack Obama s’est rendu en visite officielle en Chine, le New York Times a titré : “Quand le président va voir son banquier”. C’est une donnée nouvelle – et déplaisante – pour l’Amérique qui n’a jamais eu de comptes à rendre à personne ! Toujours plus dépendante du renouvellement de ses financements externes, la Maison Blanche – pour répondre à certaines attentes syndicales – a ouvert un autre contentieux en imposant en septembre une taxe de 35 % sur les importations de pneus chinois. Cette décision respecte les obligations légales et elle a, en termes économiques, peu de portée.
Mais elle a suscité une réaction plus qu’irritée des autorités chinoises qui ont réagi par une salve de mesures de rétorsion accompagnées, sur le Net, par les réactions nationalistes diffusées désormais régulièrement. Tout concours pour conduire à un certain durcissement de ton avaec la Chine. L’année 2009 aura sans doute vu à la fois la naissance et l’effacement de l’idée de G2.
Finalement, la première année du président Obama nous en apprend sans doute plus sur l’Amérique que sur la personne du président. On peut mettre à son crédit le fait de n’avoir pas commis d’erreur majeure face à une situation épouvantable, d’avoir restauré l’image de l’Amérique dans le monde, d’avoir démontré qu’il était sérieusement décidé à trouver une issue “victorieuse” en Afghanistan, stabilisé une économie en chute libre et entrepris une réforme structurelle fondamentale en arrivant plus près du but qu’aucun de ses prédécesseurs.
L’Amérique ne se satisfait pas de ce bilan, elle est paniquée en découvrant ses faiblesses et en tâtonnant, face aux immenses difficultés de l’heure, pour trouver une issue. elle s’inquiète de la puissance chinoise, comment réagir ? Elle est tétanisée par la crise, mais en qui placer sa confiance ? Elle redoute la précarité, refuse l’impôt et elle rejette l’intervention de l’Etat.
Mais elle ne pourra pas indéfiniment repousser les choix. Après la défaite dans le Massachusetts, un réexamen de la stratégie est en tout cas clairement à l’ordre du jour. Le populisme monte, c’est tout le contraire du terrain sur lequel le président entend placer le débat politique. Il restera fidèle à ce qu’il estime être le génie de l’Amérique, il ne cédera pas à l’esprit de confrontation que certains recommandent. La seconde année de la présidence s’annonce encore plus difficile que la première, elle sera encore plus politique avec la perspective des élections à mi-mandat. Barack Obama avait l’ambition d’être, après Roosevelt et après Reagan, un président “transformationnel”, gageons que cette ambition n’a pas disparu, il s’agit toujours de pousser l’Amérique à réinventer son destin, ce n’est pas un programme qui se réalise en un an !
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