Le mensonge en politique n’est pas l’apanage du seul Japon. Mais ses dirigeants ont été plus loin que beaucoup de leurs homologues. Il ne s’agit pas d’un mensonge ponctuel – comme celui de George Bush pour justifier la guerre en Irak – mais étendu dans le temps : cinq décennies. En reconnaissant que durant cette période les gouvernants ont menti à la population en niant l’existence de pactes secrets entre Tokyo et Washington sur l’introduction d’armes nucléaires au Japon, le gouvernement de Yukio Hatoyama a ouvert une “boîte de Pandore”.
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Non pas tant parce que ces accords étaient inconnus – depuis des années, des témoignages d’anciens diplomates japonais et des documents américains avaient confirmé leur existence -, mais parce que cet “aveu” intervient dans une phase de tension avec les Etats-Unis à propos du déplacement de l’une de leurs bases militaires à Okinawa (sud du Japon). Elle pose la question d’une diplomatie qui ignore les principes démocratiques et celle de l’assujettissement d’un Etat souverain à la stratégie planétaire américaine.
Dès son arrivée au pouvoir, en septembre 2009, le cabinet de centre-gauche de M. Hatoyama avait mis en place une commission d’experts chargée de faire la lumière sur ces accords secrets. Elle a conclu, le 9 mars, que le mensonge fut délibéré de la part des gouvernants comme de la haute administration.
Le dernier des quatre accords secrets fut passé peu avant le retour d’Okinawa sous administration japonaise (1972) qui mettait fin à vingt-sept ans d’occupation américaine. Signé, en 1969, par Richard Nixon et le premier ministre Eisaku Sato, il autorisait l’introduction d’armes nucléaires à Okinawa après la restitution. L’année précédente, le Japon avait adopté les “trois principes non nucléaires” – ne pas fabriquer, ne pas posséder et ne pas détenir de telles armes – qui valurent au même Sato le prix Nobel de la paix en 1974.
Ces accords datent de l’époque révolue de la guerre froide. Ils n’en incitent pas moins à s’interroger sur la diplomatie secrète menée par Tokyo sous la houlette américaine et, partant, sur la manière dont le Japon est gouverné. Jusqu’à quel point le gouvernement d’un pays démocratique peut-il passer outre aux aspirations de sa population au nom des “intérêts supérieurs de l’Etat” ?
La majorité des Japonais s’opposait (et s’oppose) à la présence d’armes nucléaires sur leur territoire. Le gouvernement n’en tint pas compte. Aujourd’hui, M. Hatoyama fera-t-il prévaloir la volonté populaire dans le cas du déplacement de la base à Okinawa ? La plupart des habitants de cet archipel demandent le retrait des bases militaires américaines de leur département. En 2006, Tokyo signa un accord avec Washington sur le déplacement de l’une de celles-ci, Futenma, dans une autre localité d’Okinawa en dépit de l’opposition locale exprimée par référendum. Le nouveau maire de Nago, la localité concernée, élu en décembre 2009, a fait campagne contre ce projet. En février, l’assemblée départementale d’Okinawa a voté à l’unanimité une résolution demandant le transfert de la base hors du département.
Pour les politiques, à Tokyo, Okinawa est loin : même dans les rangs du Parti démocrate de M. Hatoyama les “réalistes” sont favorables à l’application de l’accord de 2006. Le premier ministre est devant un dilemme : une politique étrangère doit-elle être menée en accord avec la volonté de ceux qu’elle est supposée servir ou en dépit de celle-ci ? Dans le cas présent, de la population d’Okinawa, qui paie le plus lourd tribut à la sécurité nationale. Tokyo souhaite établir un nouveau partenariat avec les Etats-Unis, mais les habitants d’Okinawa, qui supportent la présence des deux tiers des bases américaines au Japon (47 000 hommes), veulent un traitement égalitaire avec le reste du pays.
Les accords secrets et le transfert de la base de Futenma ne remettent pas en question l’alliance nippo-américaine, mais ils appellent à s’interroger sur l’étrange relation de subordination de Tokyo vis-à-vis de Washington. L’alliance militaire, passée en 1951 conjointement au traité de San Francisco par lequel le Japon recouvrait sa souveraineté, puis révisée en 1960, a placé progressivement l’Archipel dans une situation d’assujettissement peu commune pour un Etat souverain. Fruit d’une “indolence intellectuelle”, l’alliance semble un “postulat” soustrait à tout questionnement, souligne le spécialiste des relations internationales Jitsuro Terashima, proche du premier ministre, M. Hatoyama.
Depuis la fin de la guerre froide, le Japon a été encore plus étroitement intégré à la stratégie américaine, en payant, accessoirement, 70 % du coût des forces stationnées sur son territoire. Et il s’est retrouvé engagé en Irak – certes dans le cadre d’une mission de maintien de la paix. Dans un récent éditorial, le quotidien Asahi appelait à examiner les responsabilités politiques de ce soutien sans détour du Japon à une guerre “sans base légale du point de vue international”. Il ne s’agit pas là d'”antiaméricanisme”, mais d’une aspiration à se dégager du piège simpliste de George Bush : “Vous êtes avec ou contre nous.” La révélation sur la diplomatie secrète de Tokyo pendant la guerre froide ne relève pas que de l’Histoire.
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