L’arrestation dans le Michigan les 28 et 30 mars derniers de neuf membres de la milice extrémiste Hutaree, suspectés d’avoir planifié l’assassinat de plusieurs agents de police et de civils en vue de provoquer un soulèvement populaire contre le gouvernement, a de quoi faire froid dans le dos. Malgré l’absence de certitudes absolues sur les motivations exactes des miliciens, on ne peut que constater les liens entre leurs projets violents et l’atmosphère empoisonnée qui règne en ce moment aux Etats-Unis.
A peine un peu plus d’un an après la prise de fonctions de Barack Obama, l’opposition est vent debout, dynamisée par le phénomène des Tea Party, grands rassemblements populaires réclamant une baisse des impôts et un contrôle des dépenses publiques. Au fur et à mesure des manifestations, sont venues s’agréger des réclamations en tout genre, clairement antigouvernementales, souvent conservatrices, parfois racistes et homophobes. Au passage, les discours se sont durcis, les affiches se sont radicalisées. Il n’est pas rare d’y voir le président américain affublé d’une moustache hitlérienne ou accusé de transformer le pays en Etat communiste.
Les négociations ardues et interminables autour de la réforme de la santé, surnommée Obamacare par ses détracteurs, sont venues alimenter la méfiance antigouvernementale. La droite américaine, en mal d’électeurs, ne s’est pas privée pour caricaturer la loi et ses effets. La moindre amplification ou déformation a été reprise au centuple par les commentateurs radio, Internet et des chaînes câblées, qu’il s’agisse des prétendus “panels de la mort” ou d’une assurance santé publique pour les immigrés illégaux. S’appuyant sur un puissant fond antigouvernemental, les démagogues des talk-shows font recette, de la vedette du Parti républicain et commentateur radio Rush Limbaugh, au conspirationniste radiophonique Alex Jones en passant par Glenn Beck, nouveau visage de la radicalité sur Fox News.
Si d’un côté la montée en puissance d’un mouvement anti-Obama redore le blason terni du Parti républicain, elle contribue d’un autre côté à nourrir un climat de suspicion et de haine, qui risque à tout instant de se transformer en déchaînement violent. Au lendemain de l’adoption de la loi sur la santé par la Chambre des représentants, de nombreux élus, de droite comme de gauche, ont été victimes de tentatives d’intimidation. Début avril, c’était au tour des gouverneurs de recevoir des lettres de menace d’un groupe s’identifiant comme les Gardiens des Républiques libres. Il apparaît donc que le phénomène “patriote”, fondamentalement violent, raciste et antifédéral, connaît aujourd’hui un renouveau. En février, un kamikaze de 53 ans a précipité son avion sur un immeuble de l’IRS, le service des impôts américain, faisant une victime, outre lui-même. Bien que le fait d’un individu isolé, cet acte est révélateur de la vigueur actuelle du mouvement antigouvernemental. Le Southern Poverty Law Center, organisation de l’Alabama qui surveille le développement et les activités des groupes extrémistes aux Etats-Unis, affirme que le nombre de groupes “patriotes” a augmenté de 244% entre 2008 et 2009.
Le climat actuel rappelle quelques-unes des heures les plus sombres de l’histoire américaine récente. Le 19 avril 1995, Timothy McVeigh, vétéran de la guerre du Golfe, faisait sauter 2,3 tonnes d’explosifs devant un immeuble d’Oklahoma City tuant cent soixante-huit personnes. L’auteur a choisi de perpétrer son terrible acte deux ans jour pour jour après les événements tragiques de Waco, au Texas, au cours desquels soixante-seize membres de la secte des Davidiens ont péri dans l’incendie de leur résidence à la suite d’un assaut du FBI et des autorités fédérales. Depuis, la date du 19 avril revêt une force symbolique particulière pour les extrémistes, mélange de lutte contre la toute-puissance de l’Etat fédéral et contre la persécution religieuse. A l’approche du 19 avril 2010, date à laquelle plusieurs organisations “patriotes” appellent à une marche armée sur Washington, la question du risque terroriste intérieur devrait être dans tous les esprits. Alors que le président Obama aborde les autres grandes batailles de son mandat – la réforme de l’immigration, la lutte contre le changement climatique – les services de sécurité américains devraient redoubler de vigilance, tant les nouvelles du front intérieur sont peu rassurantes.
Mais, face aux débordements actuels, c’est au Parti républicain de prendre ses responsabilités. A quelques mois des élections de mi-mandat, la majorité de ses membres a profité du climat délétère pour marquer des points politiques, accusant le gouvernement fédéral de tous les maux. Ce faisant, l’Amérique républicaine s’est laissé déborder sur son flanc droit par les mouvements Tea Party, miliciens, patriotes, libertariens, pro-armes et anti-immigration. Or, les ambitions politiciennes d’une Sarah Palin ou d’une Michelle Bachman ne doivent pas faire perdre de vue les enjeux de la situation actuelle. Si les dirigeants du Parti républicain se montrent incapables de mettre fin rapidement aux dérives radicales qui empoisonnent le débat politique, ils courent l’immense risque de se retrouver les complices involontaires d’une tragédie nationale.
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