Il y a quelques semaines, la planète entière a retenu son souffle. Inspiré par Paul Volcker, l’ancien patron de la Fed, Barack Obama a solennellement affiché son intention de réformer en profondeur la finance américaine. Qu’on en juge : limitation de la taille des banques et interdiction des investissements pour compte propre sur les marchés les plus risqués (« hedge funds » et « private equity »). Ce dont tout économiste ayant démonté les ressorts de la crise avait rêvé, le président américain l’aurait-il fait ? Rien n’est moins sûr. D’abord, le plan Volcker laisse de côté de multiples zones d’ombre du système financier américain. Ainsi en est-il des nombreux « triangles des Bermudes » réglementaires qui permettent à des pans entiers de la finance américaine (comme le marché des produits dérivés) d’échapper à presque tout contrôle. Ainsi en est-il aussi du lancinant problème des bonus des traders, qui empoisonne les salles de marché depuis de nombreux mois. Qu’on arrête de se bercer d’illusions dans ce domaine. 124 milliards de dollars de bonus octroyés par les 34 plus grandes banques américaines : c’est l’équivalent de l’aide publique au développement, soit l’aide des pays du Nord aux pays du Sud, et deux fois plus que les profits réalisés en 2009 par l’ensemble des entreprises du CAC 40 ! « Business as usual ! »
Mais là n’est peut-être pas l’essentiel. Car l’essentiel tient, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale au moins, dans la capacité des gouvernants américains à s’abriter derrière le Congrès pour renvoyer aux calendes grecques les réformes qu’ils ne souhaitent pas mettre en oeuvre. On ne peut pas prétendre comprendre les Etats-Unis si l’on considère que le Parlement de ce pays est aussi impuissant qu’il l’est en France. Aux Etats-Unis, le Congrès dicte, seul, le tempo des réformes. Il suffit donc d’un siège au Congrès perdu dans le Massachusetts pour que Barack Obama, menacé par l’épée de Damoclès des élections de mi-mandat, soit prêt à tous les compromis : afficher haut et fort sa volonté de faire plier Wall Street pour faire plaisir à son électorat tout en faisant confiance à « son » Congrès pour faire échec à cette tentative de moralisation de la finance américaine. Telle est la (triste) réalité de la démocratie aux Etats-Unis, qui relativise régulièrement la sincérité des pulsions réformistes de Barack Obama.
Mais on peut aller encore plus loin et considérer que la pseudoréforme Volcker fait partie d’un plan d’ensemble qui vise à renforcer la capacité compétitive de la finance américaine. Qu’on en juge : il n’est pas un chantier de réformes initié par les trois G20 (qui se sont réunis depuis octobre 2008) qui n’ait donné lieu à une reculade américaine. L’application des règles prudentielles de la Banque des règlements internationaux, connues sous le pseudonyme de « Bâle II » ? Plus tard peut-être. La promotion du « leverage ratio » (ratio qui favorise des banques américaines par rapport aux banques européennes) ? Une absolue nécessité pour Washington. Le refus de réguler sérieusement les marchés dérivés ? Une profession de foi. Le refus de coopération avec les autorités européennes en matière de règles comptables ? Même punition, même motif. L’obstruction à toute régulation des agences de notation, dont les deux leaders mondiaux sont des américains (Moody’s et Standard & Poor’s) ? Une évidence absolue. Les tentatives de faire imploser le modèle européen de « banque universelle » (qui allie les métiers les plus risqués et ceux de la banque commerciale, qui le sont moins) en poussant à la séparation formelle des métiers de banque commerciale et de banque d’affaires ? Quoi de plus naturel ? Ces six exemples démontrent que les Etats-Unis, minés par leur désindustrialisation, feront tout pour protéger leur finance.
Que faire dans ce contexte, en Europe en général et en France en particulier ? D’abord rester ferme sur les principes définis par les trois G20, qui ont eu le mérite d’aborder – enfin -les sujets qui fâchent. Ensuite ne pas baisser sa garde réglementaire, en régulant mieux mais pas tout seul. Enfin, en appelant au secours de la gouvernance mondiale les pays émergents, et en particulier la Chine, qui ont été exclus de celle-ci par les Etats-Unis pendant plus de vingt ans, pour constituer un tandem Europe-pays émergents capable de faire enfin plier la finance américaine, cause première de la crise et première « tireuse des marrons du feu » depuis maintenant plus de six mois… Ce n’est pas gagné mais, au moins, peut-on rêver !
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