Publié le 27 mai, le National Security Strategy (NSS) est un document politique de toute première importance, car il fixe les orientations stratégiques des Etats-Unis en matière de politique internationale. Le précédent avait été publié par l’administration Bush en 2002 juste après l’attaque du World Trade Center. Le nouveau vient d’être publié par l’administration Obama. Or s’il fallait résumer d’une seule phrase la nouveauté de ce texte, on dirait que son objectif central vise à rompre avec l’idéologie du 11 Septembre à laquelle l’administration Bush attacha son nom pendant près de huit ans.
Certes, la valeur traumatique du 11 Septembre ne se discute pas. Mais son instrumentalisation par l’administration Bush alla bien au-delà de la riposte au terrorisme d’Al-Qaeda. Par ses excès, elle finit par se retourner contre les Etats-Unis. L’idéologie du 11 Septembre consista à transformer un combat contre des terroristes islamistes en ce qu’une large partie du monde musulman interpréta comme une croisade antimusulmane. Par sa brutalité et son schématisme, elle a radicalisé les islamistes qui n’attendaient que cela et s’est aliéné la quasi-totalité de l’opinion publique musulmane, pourtant révulsée par le terrorisme.
L’idéologie du 11 Septembre avait deux autres corollaires. Le premier reposait sur le principe de la guerre préventive, tandis que le second parlait d’exporter la démocratie y compris par la force. Il en est résulté une militarisation particulièrement inquiétante de la politique américaine, militarisation dont le secrétaire américain à la Défense a récemment reconnu les dangers et les limites. Cette démarche est désormais récusée par l’administration Obama, non seulement parce qu’elle a dégradé l’image des Etats-Unis, mais parce qu’elle n’a produit que bien peu de résultats. On sait maintenant que la guerre en Irak a réduit l’efficacité opérationnelle des Américains en Afghanistan.
La rupture la plus significative introduite par Obama porte sur l’abandon de la rhétorique de la «guerre contre la terreur» présentée comme un combat entre le bien et le mal. Cette omission volontaire, que l’on avait d’ailleurs déjà pu trouver dans son discours inaugural en janvier 2009, est confirmée dans le NSS2010 qui parle «d’extrémistes violents» mais évite désormais le vocable de «terroristes islamistes». La veille de la publication de ce rapport, le conseiller d’Obama pour la sécurité intérieure et le contre-terrorisme avait confirmé l’ampleur de cette rupture en tenant des propos inimaginables il y a de cela près de trois ans : «Notre ennemi n’est pas le terrorisme parce que le terrorisme est une tactique. Notre ennemi n’est pas la terreur parce que la terreur est un état d’esprit et les Américains refusent de vivre dans la peur.»
Cette inflexion sensible du discours américain provoque déjà la fureur des néoconservateurs et de ceux qui au fond pensent que contenir le monde musulman et la Russie doivent être les deux priorités de l’Occident. Mais une lecture attentive de ce document interdit d’y voir la marque du moindre angélisme. En réalité, Obama essaie de penser le monde de manière politique et non plus idéologique. Il évalue pragmatiquement le rapport des forces pour dégager une solution favorable aux intérêts américains, tout en sachant qu’il est impossible de faire triompher ses derniers sans tenir compte des intérêts de ses partenaires. Il sait qu’il sera impossible d’associer les Pakistanais à un règlement en Afghanistan si l’on ne tient pas compte des intérêts du Pakistan dans la région, alors que l’administration Bush avait délibérément choisi de jouer la carte indienne. Il sait qu’il sera difficile de construire un consensus international contre l’Iran, si d’une manière ou d’une autre la question de la dénucléarisation de l’ensemble du Proche-Orient n’est pas posée. D’où, le soutien, quoique mesuré, qu’il vient d’apporter à la déclaration finale de la conférence sur le TNP qui prévoit une conférence sur la dénucléarisation de tout le Moyen-Orient, y compris Israël.
Pour autant, si un discours constitue un acte fort, il ne résout pas, loin s’en faut, les contraintes opérationnelles redoutables auxquelles se heurte sur le terrain la stratégie américaine. Or s’il est probable que la nouvelle tonalité du discours américain apaisera considérablement l’hostilité à la politique américaine du Maroc au Pakistan, il ne faut pas s’attendre pour autant à des miracles, surtout si le blocage du conflit israélo-palestinien perdure. Pour le moment, Obama paraît excédé par l’intransigeance de M. Netanyahou et l’incroyable bévue de Gaza ne va pas arranger les choses. Mais il n’a pas trouvé encore la martingale politique qui lui permettrait d’agir efficacement dans ce conflit, compte tenu notamment de la puissance des soutiens dont dispose l’Etat hébreu auprès de l’opinion publique américaine et du Congrès.
Pourtant, s’il y a peu d’exemples d’alliances aussi forte que l’alliance israelo-américaine, il n’y a pas non plus d’exemple historique de relations étroites intangibles. Selon l’expression de Kissinger, les grandes puissances ne se suicident jamais pour leurs alliés. Quoi qu’il en soit et sans règlement du conflit israélo-palestinien, le nouveau langage américain risque fort de rester lettre morte. Ceci d’autant plus que ce problème n’est pas le seul dans la région. L’islamisme radical se nourrit aussi du caractère fondamentalement antidémocratique de la quasi-totalité des régimes arabes. Or ces derniers qui sont pour la plupart des régimes rentiers n’ont aucun intérêt à la réforme politique interne. Et croire qu’ils se démocratiseront une fois le règlement du problème palestinien acquis, relève d’une naïveté désarmante. Si on ajoute à cela le faible intérêt que Téhéran semble vouloir trouver au règlement du dossier nucléaire, malgré les ouvertures de Washington en octobre, on mesure les difficultés qui attendent l’administration Obama.
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