Ooops, Helen !
À près de 90 ans elle était la doyenne des journalistes accrédités auprès de la Maison-Blanche. Et même après qu’elle eut délaissé la chronique quotidienne du prestigieux 1 600 Pennsylvania Avenue pour devenir éditorialiste au sein du groupe Hearst, une place attitrée continuait de lui être dévolue, au tout premier rang de la salle de presse présidentielle : celle-là même où 57 années durant, elle a soumis au feu roulant de ses questions tous les présidents américains qui se sont succédé depuis Dwight Eisenhower. Et quelles questions !
Par ses interpellations directes, agressives, gouailleuses jusqu’à l’irrévérence, Helen Thomas, fille d’immigrants libanais originaires de Tripoli, était tout à la fois choyée et redoutée de ces hommes passant pourtant pour les plus puissants de la planète. À un moment où l’Amérique s’enthousiasmait pour les ardeurs guerrières de George W. Bush, ce personnage haut en couleur demandait abruptement au président par quelle infortune les GI en étaient réduits à bombarder impitoyablement les populations civiles d’Irak. Et c’est encore elle qui, tout dernièrement, invitait gaillardement Barack Obama à condamner fermement ce crime international que fut l’abordage par Israël de la flottille d’aide humanitaire aux habitants de Gaza.
Soudain le 27 mai dernier, Helen la vétérane bascule dans ce qu’il est convenu d’appeler le politiquement incorrect, visiblement piégée qu’elle est, au cours d’une cérémonie juive à la Maison-Blanche, par un rabbin muni d’une caméra vidéo. Asticotée sur l’épineuse question d’Israël, la voilà qui invite les Juifs à f… le camp de Palestine et de s’en retourner chez eux en Pologne, en Allemagne, aux États-Unis ou ailleurs. À peine la bande est-elle lancée sur Internet que la gaffeuse (la gâteuse, disent les plus véhéments) est désavouée de toutes parts, y compris par la Maison-Blanche ; priée de démissionner par ses employeurs, elle s’astreint à des excuses et annonce qu’elle prend sa retraite.
Pourquoi s’attarder sur le cas Helen Thomas ? En premier lieu parce que tout naufrage est pathétique, surtout celui d’une icône notoirement favorable à la cause arabe et qui s’était longtemps imposée dans un univers médiatique américain largement dominé pourtant par les amis d’Israël. En deuxième lieu et surtout, parce que les audaces verbales de l’intéressée eurent été absolument inconcevables si ne se manifestait depuis quelque temps, aux États-Unis, une désaffection croissante de la politique obstructionniste et aventuriste de Benjamin Netanyahu. La communauté juive américaine elle-même n’échappe pas à ce phénomène, divisée qu’elle est pour la première fois depuis longtemps. Aux inconditionnels d’Israël qui s’emploient à circonvenir Barack Obama en mobilisant un Congrès traditionnellement complaisant, s’opposent de plus en plus des organisations juives soutenant au contraire les efforts de paix du président, et qui ont admirablement réagi à la folle équipée de la marine israélienne contre le convoi d’aide à Gaza.
C’est cette providentielle brèche que les Palestiniens, et plus généralement les Arabes, sont tenus d’élargir. Autrement, cependant, qu’à la manière de la bouillante Helen.
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