The Drama of Deepwater: an Opportunity for Obama

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Le drame de Deepwater : une occasion pour Obama

Alain Frachon (International)

A qui la faute ? Pour être bien réelle, la colère de l’Amérique contre BP a quelque chose de surprenant. C’est un peu l’histoire de l'”accro” à l’héroïne qui se plaint d’un dealer indélicat – un dealer qui aurait saccagé le jardin en livrant la drogue. La catastrophe du golfe du Mexique a des allures de fatalité, le prix à payer pour une addiction depuis longtemps dénoncée par tous les experts.

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Cause première de la tragédie : l’explosion puis le naufrage le 22 avril de la plate-forme de forage en haute mer Deepwater Horizon exploitée par la multinationale BP ; depuis, 40 000 barils de pétrole s’échappent chaque jour d’un puits foré à 1 500 mètres de profondeur au large des côtes de la Louisiane. Peut-être plus encore : les autorités américaines évoquaient mercredi 16 juin un torrent de 60 000 barils/jour, soit 9,5 millions de litres environ. En deux mois, plus de 300 millions de litres de fuel se sont déversés dans l’océan. Barack Obama parle de “11-Septembre écologique”.

Les conséquences sont connues, elles aussi. Liés à la pêche, au forage pétrolier, au tourisme, des centaines de milliers d’emplois sont compromis dans quatre des Etats qui bordent le golfe : la Louisiane, le Mississippi, l’Alabama et la Floride ; le Texas commence à s’inquiéter. Il faudra des années pour effacer la souillure venue noircir plages et mangroves, puis saccager ce paradis de terres humides qu’est le delta du Mississippi. Les dommages se chiffrent en milliards de dollars, à un moment où ces Etats peinent à sortir de la récession.

La cause profonde de cette plaie, qui s’abat sur une région où depuis des siècles illuminés du bayou et pasteurs intégristes promettent l’Apocalypse, a un nom : pétrole. Plus qu’aucun autre pays, l’Amérique est tributaire du pétrole. Elle en dépend pour 90 % du secteur des transports. Elle dispose de 3 % des réserves mondiales d’or noir ; elle importe le reste pour 1 milliard de dollars par jour. Les Etats-Unis représentent moins de 5 % de la population de la planète ; ils consomment 25 % de la production mondiale de pétrole.

Ce n’est pas seulement un fléau environnemental, lequel se mesure en tonnes d’émissions de gaz à effet de serre, responsables d’une partie du réchauffement climatique. C’est une contrainte qui pèse sur l’équilibre économique du pays : les importations d’hydrocarbures représentent la moitié du déficit commercial américain. Et tout concourt à une hausse du prix du baril dans les années à venir, notamment la consommation des grands émergents, comme la Chine et l’Inde. Enfin, c’est un handicap stratégique aussi, une dépendance à l’égard du Proche-Orient, où les Etats-Unis achètent plus de 70 % de leur pétrole.

Depuis des lustres, tout ce que l’Amérique compte de spécialistes de l’énergie et autres pundits (sages) en stratégie tire la sonnette d’alarme. Tous les quatre ans, la Maison Blanche publie un document intitulé “La stratégie de sécurité nationale”. En 2010, il pointe la dépendance à l’égard du pétrole comme l’une des faiblesses des Etats-Unis. La CIA n’est pas en reste qui, dans son évaluation des menaces à venir, cite la même pathologie.

Les carburants alternatifs sont disponibles : éthanol, méthanol, batteries électriques, susceptibles de pérenniser l’American way of life – gros 4 × 4 et délices de la maison individuelle, notamment. L’essence resterait, mais comme un choix de carburant parmi d’autres – et non plus comme une matière première stratégique dont le pays ne peut se passer.

Manquent les incitations fiscales, parafiscales, bref l’intervention massive de l’Etat fédéral pour passer d’un modèle à l’autre. Le Brésil a réalisé la transition en quelques années ; cela devrait être à la portée des Etats-Unis. Solennel, Barack Obama affirmait mardi soir depuis le bureau Ovale de la Maison Blanche : “Le temps d’adopter les énergies propres est venu.”

Mais son projet de loi sur l’énergie et le climat, censé permettre aux Etats-Unis de briser leur addiction aux carburants fossiles, est bloqué au Sénat depuis six mois. Pressions du lobby pétrolier, notamment. L’Amérique prend du retard. Elle se laisse distancer par nombre de ses concurrents dans la recherche sur les énergies alternatives. Piloté par Bill Gates, le fondateur de Microsoft, un groupe de grands PDG multiplie les pressions sur le Congrès. Objectif : Washington doit tripler – passer de 5 à 16 milliards de dollars – le budget de recherche consacré aux nouvelles énergies. Dans le New York Times, Bill Gates fait part de leur inquiétude : “Avec mes partenaires, nous constatons que les meilleures piles à combustible et les meilleures technologies en matière de stockage de l’énergie, tout cela est né hors des Etats-Unis.”

Si l’Etat fédéral n’est pas au rendez-vous, le secteur privé ne fera pas l’investissement nécessaire, ajoute Bill Gates. Le passé en témoigne, confirme Felix Rohatyn, banquier, ex-ambassadeur des Etats-Unis en France, qui explique le rôle fondamental joué par l’Etat dans la saga américaine. Dans un livre passionnant (Ces hommes qui ont fait l’Amérique, Saint-Simon, 204 p., 23 euros), Rohatyn relate l’histoire de dix grandes initiatives publiques aux Etats-Unis. Cela va du percement du canal de l’Erié aux lignes de chemin de fer transcontinentales, de l’électrification des campagnes à la GI Bill, cette bourse d’enseignement offerte aux 15 millions de soldats de retour de la seconde guerre mondiale.

A chaque fois, l’Etat prend l’initiative, innove, finance. A chaque fois, il s’agit de projets phares, souvent votés en pleine récession, investissements publics à contre-cycle, observe Rohatyn, démocrate de toujours, mais pas sectaire. Et, à chaque fois, il s’agissait d’un moment clé dans l’histoire américaine, une phase d’élan nouveau, de renouvellement. Un de ces moments-là se joue sur le pourtour du golfe du Mexique. Barack Obama a l’occasion de laisser sa marque sur l’avenir : être le président qui aura amorcé l’ère de l’après-pétrole aux Etats-Unis.

Alain Frachon (International)

A qui la faute ? Pour être bien réelle, la colère de l’Amérique contre BP a quelque chose de surprenant. C’est un peu l’histoire de l'”accro” à l’héroïne qui se plaint d’un dealer indélicat – un dealer qui aurait saccagé le jardin en livrant la drogue. La catastrophe du golfe du Mexique a des allures de fatalité, le prix à payer pour une addiction depuis longtemps dénoncée par tous les experts.

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Cause première de la tragédie : l’explosion puis le naufrage le 22 avril de la plate-forme de forage en haute mer Deepwater Horizon exploitée par la multinationale BP ; depuis, 40 000 barils de pétrole s’échappent chaque jour d’un puits foré à 1 500 mètres de profondeur au large des côtes de la Louisiane. Peut-être plus encore : les autorités américaines évoquaient mercredi 16 juin un torrent de 60 000 barils/jour, soit 9,5 millions de litres environ. En deux mois, plus de 300 millions de litres de fuel se sont déversés dans l’océan. Barack Obama parle de “11-Septembre écologique”.

Les conséquences sont connues, elles aussi. Liés à la pêche, au forage pétrolier, au tourisme, des centaines de milliers d’emplois sont compromis dans quatre des Etats qui bordent le golfe : la Louisiane, le Mississippi, l’Alabama et la Floride ; le Texas commence à s’inquiéter. Il faudra des années pour effacer la souillure venue noircir plages et mangroves, puis saccager ce paradis de terres humides qu’est le delta du Mississippi. Les dommages se chiffrent en milliards de dollars, à un moment où ces Etats peinent à sortir de la récession.

La cause profonde de cette plaie, qui s’abat sur une région où depuis des siècles illuminés du bayou et pasteurs intégristes promettent l’Apocalypse, a un nom : pétrole. Plus qu’aucun autre pays, l’Amérique est tributaire du pétrole. Elle en dépend pour 90 % du secteur des transports. Elle dispose de 3 % des réserves mondiales d’or noir ; elle importe le reste pour 1 milliard de dollars par jour. Les Etats-Unis représentent moins de 5 % de la population de la planète ; ils consomment 25 % de la production mondiale de pétrole.

Ce n’est pas seulement un fléau environnemental, lequel se mesure en tonnes d’émissions de gaz à effet de serre, responsables d’une partie du réchauffement climatique. C’est une contrainte qui pèse sur l’équilibre économique du pays : les importations d’hydrocarbures représentent la moitié du déficit commercial américain. Et tout concourt à une hausse du prix du baril dans les années à venir, notamment la consommation des grands émergents, comme la Chine et l’Inde. Enfin, c’est un handicap stratégique aussi, une dépendance à l’égard du Proche-Orient, où les Etats-Unis achètent plus de 70 % de leur pétrole.

Depuis des lustres, tout ce que l’Amérique compte de spécialistes de l’énergie et autres pundits (sages) en stratégie tire la sonnette d’alarme. Tous les quatre ans, la Maison Blanche publie un document intitulé “La stratégie de sécurité nationale”. En 2010, il pointe la dépendance à l’égard du pétrole comme l’une des faiblesses des Etats-Unis. La CIA n’est pas en reste qui, dans son évaluation des menaces à venir, cite la même pathologie.

Les carburants alternatifs sont disponibles : éthanol, méthanol, batteries électriques, susceptibles de pérenniser l’American way of life – gros 4 × 4 et délices de la maison individuelle, notamment. L’essence resterait, mais comme un choix de carburant parmi d’autres – et non plus comme une matière première stratégique dont le pays ne peut se passer.

Manquent les incitations fiscales, parafiscales, bref l’intervention massive de l’Etat fédéral pour passer d’un modèle à l’autre. Le Brésil a réalisé la transition en quelques années ; cela devrait être à la portée des Etats-Unis. Solennel, Barack Obama affirmait mardi soir depuis le bureau Ovale de la Maison Blanche : “Le temps d’adopter les énergies propres est venu.”

Mais son projet de loi sur l’énergie et le climat, censé permettre aux Etats-Unis de briser leur addiction aux carburants fossiles, est bloqué au Sénat depuis six mois. Pressions du lobby pétrolier, notamment. L’Amérique prend du retard. Elle se laisse distancer par nombre de ses concurrents dans la recherche sur les énergies alternatives. Piloté par Bill Gates, le fondateur de Microsoft, un groupe de grands PDG multiplie les pressions sur le Congrès. Objectif : Washington doit tripler – passer de 5 à 16 milliards de dollars – le budget de recherche consacré aux nouvelles énergies. Dans le New York Times, Bill Gates fait part de leur inquiétude : “Avec mes partenaires, nous constatons que les meilleures piles à combustible et les meilleures technologies en matière de stockage de l’énergie, tout cela est né hors des Etats-Unis.”

Si l’Etat fédéral n’est pas au rendez-vous, le secteur privé ne fera pas l’investissement nécessaire, ajoute Bill Gates. Le passé en témoigne, confirme Felix Rohatyn, banquier, ex-ambassadeur des Etats-Unis en France, qui explique le rôle fondamental joué par l’Etat dans la saga américaine. Dans un livre passionnant (Ces hommes qui ont fait l’Amérique, Saint-Simon, 204 p., 23 euros), Rohatyn relate l’histoire de dix grandes initiatives publiques aux Etats-Unis. Cela va du percement du canal de l’Erié aux lignes de chemin de fer transcontinentales, de l’électrification des campagnes à la GI Bill, cette bourse d’enseignement offerte aux 15 millions de soldats de retour de la seconde guerre mondiale.

A chaque fois, l’Etat prend l’initiative, innove, finance. A chaque fois, il s’agit de projets phares, souvent votés en pleine récession, investissements publics à contre-cycle, observe Rohatyn, démocrate de toujours, mais pas sectaire. Et, à chaque fois, il s’agissait d’un moment clé dans l’histoire américaine, une phase d’élan nouveau, de renouvellement. Un de ces moments-là se joue sur le pourtour du golfe du Mexique. Barack Obama a l’occasion de laisser sa marque sur l’avenir : être le président qui aura amorcé l’ère de l’après-pétrole aux Etats-Unis.

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