Barack Obama Faces Specter of al-Qaida

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Il y a un peu plus d’un an, le président américain prononçait au Caire son discours historique de réconciliation avec l’islam. Au nom de valeurs partagées entre les Etats-Unis et le monde arabo-musulman, il appelait à une mobilisation générale contre Al-Qaida et ses thèses mortifères. Il opposait ainsi aux calamiteux errements de son prédécesseur la nouvelle vision d’un islam aussi constitutif de la foi américaine que le christianisme ou le judaïsme. Il prenait le contre-pied de la “guerre globale contre la terreur” en ciblant avec détermination l’infime minorité des partisans de Ben Laden, ennemis de la communauté des nations, et non des seuls Occidentaux.

Douze mois après cette main tendue, Barack Obama a restauré une partie du crédit des Etats-Unis dans cette région, même si l’absence de tout progrès tangible sur le règlement de la question palestinienne continue d’être son principal handicap. L’apparent enlisement de l’OTAN en Afghanistan joue aussi en sa défaveur, mais la poursuite du retrait des forces américaines hors d’Irak lève la principale hypothèque léguée par l’administration Bush.

C’est néanmoins le refus d’ajouter la guerre à la guerre qui a permis à Washington de reprendre l’initiative contre Al-Qaida. Jamais les Etats-Unis n’ont été aussi proches de pouvoir tourner la page du 11-Septembre et la proximité de ce dénouement possible dramatise d’autant le bras de fer avec l’organisation de Ben Laden.

1. Le déclin opérationnel

Al-Qaida est aujourd’hui composée de quatre pôles d’inégale importance : “Al-Qaida Central”, soit la direction politico-militaire réfugiée depuis l’hiver 2001-2002 dans les zones tribales du Pakistan ; Al-Qaida pour la péninsule Arabique (AQPA), fondée en 2003 en Arabie saoudite, sur instruction de Ben Laden, et repliée au Yémen après l’échec de sa campagne terroriste contre le régime de Riyad ; Al-Qaida en Irak, constituée en 2004 à partir des réseaux fidèles au djihadiste jordanien Zarkaoui, et reprise en main après sa mort en 2006 par un émissaire égyptien de Ben Laden, Abou Hamza Al-Mouhajer ; Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), nouvelle dénomination en 2007 de la principale formation djihadiste algérienne.

Malgré sa vocation planétaire, Al-Qaida s’avère incapable d’étendre ses réseaux au-delà de ces quatre implantations, elle a ostensiblement abandonné l’Asie du Sud-Est, elle se heurte à l’implacable hostilité des formations nationalistes au Proche-Orient, elle se désintéresse du Caucase et elle s’abstient même de donner suite aux offres de service des djihadistes somaliens.

La plupart des victimes de la terreur d’Al-Qaida demeurent des musulmans tués dans des pays musulmans, surtout en Irak et au Pakistan. Mais la vague d’attentats sanglants à Bagdad depuis août 2009 n’a pas réussi à enrayer l’effondrement d’Al-Qaida en Irak, qui a été désavouée par la participation massive de la population sunnite aux élections de mars 2010, un mois avant l’élimination d’Abou Hamza Al-Mouhajer et de son adjoint. En Algérie, l’horreur suscitée par les massacres terroristes a contraint AQMI à suspendre les attentats-suicides. Au Yémen, les chefs tribaux qui ont accordé leur protection aux cellules d’Al-Qaida l’ont conditionnée au refus des attentats aveugles.

L’organisation de Ben Laden cherche pourtant désespérément à relancer le terrorisme antioccidental, mais elle ne dispose plus que de recrues trop vite formées, envoyées en mission sans vraie structure de soutien ni plan alternatif. D’où une succession impressionnante de fiascos, qu’Al-Qaida revendique au même titre que des victoires, rompant ainsi avec ses exigences opérationnelles des vingt années précédentes. Le seul succès dont Al-Qaida peut vraiment se targuer au cours de l’année écoulée est l’attentat-suicide contre l’antenne de la CIA à Khost, dans l’est de l’Afghanistan, où un agent double jordanien a éliminé son officier traitant et une demi-douzaine de ses collègues, le 30 décembre 2009.

Ce coup spectaculaire, médiatisé par une vidéo posthume du kamikaze aux côtés du chef des talibans pakistanais, Hakimullah Mehsud, relève cependant plus de la “guerre de l’ombre” entre services que de la terreur publicitaire à laquelle s’était identifiée Al-Qaida.

2. La contre-offensive musulmane

Al-Qaida ne compte aujourd’hui, toutes branches confondues, que mille à deux mille membres. Cette avant-garde autoproclamée et élitiste entend pourtant imposer son programme totalitaire à la masse de ses supposés coreligionnaires, qu’elle accuse de pratiquer un “islam américain” et somme d’épouser son nouveau dogme. Les dirigeants d’Al-Qaida, tels Ben Laden ou son adjoint égyptien Zawahiri, n’ont aucune légitimité religieuse à faire valoir et leur prétention sectaire a suscité un profond rejet, de la part de l’islam traditionnel ou populaire, mais aussi dans les rangs plus militants de l’islam radical. Longtemps confinées aux cénacles de l’islam officiel, les condamnations émanent désormais de ses anciens alliés salafistes ou djihadistes, qui fustigent son bricolage idéologique, voire sa “trahison” de l’islam.

Al-Qaida paie ainsi le prix de sa dialectique entre “l’ennemi proche”, faussement musulman à ses yeux, et “l’ennemi lointain”, l’Amérique et ses alliés. “L’ennemi lointain” est désigné avec d’autant plus de virulence que l’objectif est de l’attirer sur le territoire de “l’ennemi proche”, afin de mieux déstabiliser celui-ci, car seule une escalade militaire de cet ordre peut permettre à Al-Qaida de surmonter sa faiblesse structurelle, en tirant parti du chaos suscité par une intervention occidentale.

Zawahiri appelle ainsi publiquement de ses voeux une guerre entre les Etats-Unis et l’Iran, dont il escompte la relance de la dynamique terroriste au coeur du Moyen-Orient. Al-Qaida en Irak s’efforce sans succès, par ses massacres de civils, de retarder le retrait américain qui signe sa perte. Et Ben Laden ne craint pas de revendiquer le fiasco de Noël 2009, dans l’espoir (déçu) que les Etats-Unis tombent dans le piège de représailles massives au Yémen.

Une telle politique du pire est naturellement combattue par les formations nationalistes, qui refusent d’être les otages de la dialectique cynique d’Al-Qaida. C’est ainsi que la guérilla irakienne, malgré son sunnisme exacerbé, s’est retournée contre Al-Qaida, bien avant que le général Petraeus amorce son “surge” de 2007 et le démantèlement progressif des réseaux de Ben Laden dans le pays.

C’est dans le même esprit que le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien ont été impitoyables envers toute tentative d’infiltration d’Al-Qaida, lui interdisant de prendre pied sur le théâtre hautement symbolique de la confrontation avec Israël. Quant au mollah Omar, il n’a certes jamais désavoué ses liens avec Ben Laden ; mais l’insurrection afghane ne compte fondamentalement que sur ses propres forces et c’est sur l’autre versant de la frontière avec le Pakistan qu’Al-Qaida s’est repliée.

. L’enfermement virtuel

Al-Qaida s’efforce de compenser cette série de revers politico-militaires en surinvestissant la Toile comme espace virtuel de mobilisation. Elle y martèle les thèses du djihad pour le djihad, désormais rejetées jusque dans les cercles les plus radicaux, qui y voient au mieux un dévoiement, au pire une hérésie, car le djihad n’est qu’un moyen en vue d’une fin, soumis à la décision des docteurs de la loi. Ben Laden balaie cet impératif d’un recours aux clercs de l’islam et trouve dans l’Internet le vecteur privilégié de diffusion de leur vulgate sectaire. Al-Qaida met en ligne un document original tous les deux ou trois jours et elle multiplie ses appels au meurtre contre “les juifs et les croisés”, espérant qu’ils seront entendus ici ou là, qu’un internaute isolé passera à l’acte criminel, relançant ainsi le cercle vicieux terreur/répression.

Al-Qaida n’est plus parvenue à frapper un pays occidental depuis les attentats de Londres en juillet 2005 et les djihadistes algériens d’AQMI ont échoué à projeter leur terreur au nord de la Méditerranée. Car la crise du recrutement djihadiste, aggravée par l’efficacité des services de sécurité, a atteint un tel niveau qu’Al-Qaida doit s’en remettre prioritairement à Internet pour radicaliser et programmer des terroristes potentiels. Toutes les récentes affaires impliquant AQMI sur le territoire français révèlent un rôle majeur de l’Internet dans la planification opérationnelle. La propagande d’Al-Qaida exalte depuis novembre 2009 le massacre par un officier américain et musulman de 13 autres militaires sur la base texane de Fort Hood.

C’est au fond la transposition de la redoutable dialectique entre “l’ennemi proche” et “l’ennemi lointain” à l’intérieur même des sociétés occidentales : les musulmans d’Europe et d’Amérique demeurant irréductiblement hostiles à Al-Qaida et à son message, seule une provocation isolée, mais à forte visibilité, pourra déclencher des représailles racistes et ouvrir un cycle de violence dont Al-Qaida espère profiter. Ce pari sur la haine communautaire était au coeur des attentats de Madrid, le 11 mars 2004, mais la maturité de la société espagnole l’a mis en échec. L’exaltation de la tuerie de Fort Hood représente dès lors la réplique d’Al-Qaida au discours d’Obama sur l’Amérique en paix avec l’islam comme avec elle-même. Il n’est pas trop tard pour prendre en compte la menace pernicieuse que véhicule le cyberdjihad et que l’idéalisation des vertus de l’Internet a longtemps occultée.

La neutralisation des sites djihadistes et de leur propagande homicide ne pose pas de problèmes techniques insurmontables, à condition qu’une coordination minimale existe entre les différents intervenants de cette guerre virtuelle. La “taupe” jordanienne que la CIA avait cru recruter (et qui s’est finalement retournée contre elle en décembre 2009 à Khost) se distinguait par sa violence sur Internet, soi-disant pour conforter sa “couverture”. Plus grave encore, une agence américaine a pu manipuler un “vrai-faux” site djihadiste, qu’une agence concurrente a détruit avant d’être mise dans la confidence. Le cyberespace est aussi le théâtre de “tirs amis”.

4. Le risque de la “pakistanisation”

Sous ces rodomontades rhétoriques, Al-Qaida est une organisation à bout de souffle. Adossée à la frontière afghane, “Al-Qaida central” joue son va-tout sur le terrain pakistanais, où elle jouit de la protection ancienne du seigneur de la guerre Jalaluddine Haqqani et de son fils Sirajuddine, puissants dans le Waziristan pakistanais comme dans la province afghane de Khost. Mais Ben Laden mise surtout sur la force révolutionnaire d’une nouvelle génération d’extrémistes pachtounes qui se sont regroupés en décembre 2007 dans le TTP, le mouvement des talibans pakistanais.

Al-Qaida complète ainsi la protection statique du réseau Haqqani par la perspective dynamique du TTP, engagé dans une campagne terroriste sans merci contre le régime d’Islamabad. Elle peut aussi compter sur la coopération des groupes djihadistes du Pendjab et du Sind, tel Lashkar-e-Taiba, responsable de l’attaque de Bombay en novembre 2008, qui accusent le gouvernement pakistanais de les avoir trahis au profit de la détente avec l’Inde.

Le commandant Massoud, peu avant son assassinat en 2001 par des sicaires de Ben Laden, décrivait Al-Qaida comme la “colle” indispensable à la cohérence des talibans afghans. La même formule peut s’appliquer à la coalition pakistanaise de formations djihadistes, dont Al-Qaida potentialise l’offensive révolutionnaire contre “l’ennemi proche”, la République islamique du Pakistan, au nom de la lutte contre “l’ennemi lointain” et américain. Nombre de prisonniers capturés lors des offensives gouvernementales dans les zones tribales croyaient combattre les troupes américaines, et non l’armée pakistanaise.

Barack Obama qualifie de “cancer” le risque djihadiste au Pakistan et les drones de la CIA mènent régulièrement des raids meurtriers contre Al-Qaida et ses alliés dans les zones tribales du Pakistan. Ben Laden a riposté en dépêchant un de ses kamikazes contre la base arrière de la CIA, sur l’autre versant de la frontière, puis en encourageant le TTP à viser le territoire même des Etats-Unis. Tel est le sens de la provocation de Times Square, assumée par Hakimullah Mehsud lui-même, afin de piéger “l’ennemi lointain” au Pakistan.

La piste de tous les attentats déjoués ces derniers mois sur le territoire américain remonte jusqu’à “Al-Qaida central” et aux zones tribales. Pour le président démocrate, il ne s’agit plus seulement de “finir le travail” laissé inachevé par George W. Bush, mais d’empêcher la “pakistanisation” d’Al-Qaida et le renouveau de sa terreur globale. Le paradoxe assumé par la Maison Blanche est qu’une intervention accrue au Pakistan risque d’accélérer ce processus au lieu de le neutraliser. Un an après le discours du Caire, la voie reste étroite dans le quitte ou double d’Obama face à Al-Qaida.

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