La première salve a été tirée par Rupert Murdoch au New York Forum du 22 juin. Invité par Richard Attias pour l’ouverture de ce « mini-Davos », le patron de News Corp. a tiré à boulets rouges sur Barack Obama. « Trop détaché, manque d’autorité… », le président démocrate trouve d’autant moins grâce à ses yeux qu’il aurait trahi ses électeurs de centre gauche en optant pour une politique beaucoup plus « libérale » (au sens américain) que prévu. Sauf s’il prend une direction diamétralement opposée après les élections de mi-mandat, Barack Obama menace de condamner l’économie américaine à deux ans de « stagnation », selon le propriétaire du « Wall Street Journal ». Bien que relativement prévisible, la critique de Rupert Murdoch, relayée peu après, en sourdine, par le patron de General Electric (GE), Jeffrey Immelt, traduit bien le malaise croissant entre le « big business » et l’administration démocrate.
« Nous sommes de piètres exportateurs (…). Nous devons redevenir une superpuissance industrielle, mais cela ne peut se faire quand le gouvernement et les entrepreneurs ne sont pas sur la même longueur d’onde. » Prononcée lors d’un « dîner privé » à Rome, la petite phrase du patron de GE rapportée par le « Financial Times » (1) risque de laisser des traces. Même si GE a tenté d’en atténuer la portée en précisant qu’elle était sortie de son contexte. Provenant de l’un des douze membres de l’Economic Advisory Board chargé en 2009 de conseiller le président sur la relance de l’économie, elle ne peut que semer le trouble sur une certaine détérioration des relations entre l’administration Obama et les milieux d’affaires. Après deux ans de trêve dominée par l’impératif de sortie de crise, les incertitudes sur la reprise et l’impact mitigé du plan de relance sur l’emploi commencent à exacerber les tensions entre une administration moralisatrice et un monde de l’entreprise déçu à la fois par un excès de dirigisme et un manque de leadership réel. Dans certains cas, cela ressemble parfois à du dépit amoureux. Même l’acharnement contre BP face à la marée noire – hautement justifié aux yeux de l’opinion publique -a suscité parfois un malaise diffus dans les milieux industriels. Et les tâtonnements de Washington sur le gel des forages offshore sont perçus comme le signe d’une absence de vision à long terme…
« C’est la première fois depuis longtemps qu’une administration ne compte aucun membre du cabinet directement issu du monde de l’entreprise », déplore-t-on souvent dans les milieux économiques. Dans un pays où le lobbying est roi, cela fait parfois sourire. Mais il y a là un grief sincère dont Barack Obama aurait tort de sous-estimer la portée. Certains militent déjà pour la nomination d’Anne Mulcahy, ex-PDG de Xerox. Mais il serait faux de penser que le « big business » ne dispose pas déjà de puissants relais à la Maison-Blanche. Purs produits du « clintonisme », Lawrence Summers et Timothy Geithner gardent forcément une oreille attentive aux doléances de la « corporate America ». Mais la relation est toujours vigilante. Même le milliardaire Warren Buffett, un des plus fervents supporters du président américain dans le monde des affaires, ne s’est pas privé de critiquer son projet de taxe bancaire « punitive » de 90 milliards de dollars sur dix ans. Jusqu’à présent, le divorce le plus flagrant a eu lieu entre Wall Street et la Maison-Blanche. Sous réserve de son adoption, inévitable, par le Sénat, à la mi-juillet, la refonte de la régulation financière sera le deuxième grand succès de Barack Obama avec la réforme de la couverture santé. Moins anodine qu’elle n’y paraît, elle jette les bases d’une transformation significative du secteur bancaire, même si elle vise surtout à corriger les effets pervers de l’abolition du Glass Steagall Act sous l’administration Clinton en 1999. Et même si la « règle Volcker » a été passablement édulcorée par le Congrès, la réforme a déjà jeté un certain froid entre la Maison-Blanche et les poids lourds de Wall Street, Goldman Sachs et JPMorgan Chase en tête, qui avaient pourtant largement contribué au financement de la campagne démocrate. « Obama aurait-il jeté par-dessus bord son meilleur ami à Wall Street ? », s’interrogeait récemment le magazine « New Republic » en faisant état de la déception du PDG de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, face à la réforme des dérivés qui va largement peser sur le bilan de sa banque.
En réalité, ce que reproche avant tout le « big business » à Barack Obama c’est d’avoir trop souvent cédé à la tentation « libérale » de l’aile gauche démocrate. De prendre trop souvent le parti du « big government » contre celui de la libre entreprise. Le grief est en partie injuste car il a toujours pris soin d’inscrire ses réformes dans la logique du « libre marché ». Mais le « big business » croyait avoir affaire à un centriste blairiste et se retrouve confronté à un réformateur janséniste, moins conditionné que prévu. D’où une forme de malentendu… A terme, le vrai test concret de la crédibilité de Barack Obama aux yeux de la « corporate America » portera surtout sur la réduction effective des déficits publics au lendemain des élections législatives du 2 novembre. C’est là que l’on verra si « Obama le rigoriste » ne l’est pas seulement en paroles, mais aussi en actions. Après avoir exhorté l’Europe à ne pas tuer dans l’oeuf la reprise naissante par une rigueur prématurée, il sait qu’il n’échappera pas, lui non plus, à un sérieux tour de vis budgétaire dans la seconde partie de son mandat et au-delà. Mais la rigueur a toujours un prix. « Pour gagner un second mandat, Barack Obama sait qu’il devra faire campagne sur des hausses d’impôt en 2012. C’est loin d’être évident pour lui ! », résume un banquier new-yorkais.
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