Wall Street’s “Mitigated” Reform

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[Interview] La réforme « mitigée » de Wall Street

Joint par nouvelobs.com, Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, le centre de recherche en économie de Sciences Po, juge que la réforme financière américaine n’est pas allée jusqu’au bout pour atteindre son objectif : éviter que la crise ne puisse se reproduire.

La loi “Dodd-Frank”, adoptée jeudi 15 juillet au Sénat américain, est présentée comme une réforme en profondeur de Wall Street. Partagez-vous cet avis?

– En réalité, cette réforme est mitigée. Il y a eu la crise, donc le gouvernement américain veut prendre des mesures qui auraient permis de l’éviter. Mais ils se sont arrêtés à mi-chemin…

Sur quels points la réforme n’a, selon vous, pas été jusqu’au bout ?

– Un premier exemple : le texte veut décourager les banques de prendre trop de risques, de trop intervenir sur les marchés financiers, de spéculer pour leurs comptes propres… Alors il rend les opérations plus coûteuses mais ne va pas jusqu’à les interdire. Il n’y a pas encore de séparation nette entre deux métiers qui sont pourtant très différents : le métier bancaire et financier.

De même pour les agences de notation. Elles vont être surveillées car il aurait été difficile de ne rien faire. Mais on ne va pas jusqu’à créer une agence publique plus transparente.

Doit-on cette réforme en demi-teinte à la pression des banques ou au manque de courage des hommes politiques ?

– Aux deux. Évidemment, les banques tentent de préserver leur pré-carré. Mais le gouvernement a également fait preuve de prudence électorale. En effet, la croissance américaine a beaucoup reposé sur le secteur financier. Pour donner une impression de richesse aux Américains, ils ont donc besoin de la finance, par le crédit à la consommation par exemple. Aller au bout de cette réforme, cela voulait dire changer tout le modèle. Et ça, les États-Unis n’osent pas, même s’ils le savent dangereux.

Ils se contentent donc de se rapprocher un peu du système européen…

– Sur certains points en tout cas. Concernant les crédits immobilier ou à la consommation, les institutions américaines ont toujours été plus aventureuses en acceptant notamment l’idée d’un crédit hypothécaire indépendant du revenu. Là-dessus, on peut dire qu’ils se rapprochent du système européen en devenant plus prudents.

Mais ils ont un temps d’avance sur l’Union européenne en créant le conseil de supervision de la stabilité financière qui permettra de contrôler les grandes banques sur les risques systémiques [les risques que les banques font prendre au système financier ndlr]. Évidemment, comme pour toute institution, tout dépendra des gens qui seront à sa tête.

Les grandes banques seront surveillées par ce conseil de supervision de la stabilité financière, mais la réforme aura-t-elle un impact sur leurs profits ?

– Oui, si le contrôle est strict. Demander plus de capital pour que les banques puissent intervenir sur les marchés ou encore les obliger à filialiser une partie de leur activité, cela va freiner leur développement. Mais elles risquent du coup de faire du chantage à la croissance en affirmant que toutes ces contraintes limitent l’emploi. Les autorités devront alors avoir une doctrine ferme : “la spéculation n’apporte que des gains transitoires”. Et il faudra tenir…

(Propos recueillis vendredi 16 juillet par Lucie Soullier – Nouvelobs.com)

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