PIERRE DE GASQUET EST CORRESPONDANT DES « ECHOS » À NEW YORK. CETTE ANALYSE EST LA TROISIÈME D’UNE SÉRIE DE SEPT CONSACRÉE À LA SITUATION CONJONCTURELLE EN CETTE RENTRÉE DANS LES GRANDS PAYS.
La rentrée sera ingrate pour Obama le réformateur. Alors qu’il pensait pouvoir aborder ces élections législatives de mi-mandat tout auréolé du succès de sa réforme du système de santé et de sa « remise au pas » de Wall Street – sans compter la punition infligée à BP -, le doute s’installe. Et si le plan de relance de l’administration démocrate s’avérait insuffisant ? Et si l’on n’était jamais sorti de la récession, comme le clame le prix Nobel d’économie, Paul Krugman ? A soixante-trois jours du scrutin du 2 novembre, le rebond tant espéré n’est pas au rendez-vous. Au contraire, le spectre du « double dip » ou d’une décennie perdue « à la japonaise » plane sur l’économie américaine, noyée dans un épais brouillard. Plus encore que la réalité des indices, pas forcément très éloignée des attentes, c’est l’installation insidieuse d’un climat de désarroi qui menace de gâcher la rentrée de la Maison-Blanche.
« La perspective d’un chômage élevé pour une longue période reste un sujet de préoccupation central », a reconnu le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, à Jackson Hole, en rappelant les limites de la politique monétaire. Selon la loi d’Okun (du nom de l’économiste américain Arthur Okun), sans une croissance minimale de 2 %, on ne crée pas d’emplois. Or, après le chiffre décevant du deuxième trimestre (1,6 %), selon le consensus des analystes, la croissance du PIB américain ne dépassera pas, au mieux, 1 % à 1,5 % au deuxième semestre. Certes,, nul ne s’attendait vraiment à un tassement significatif du chômage avant 2011. Mais le fléchissement inattendu de la reprise et la léthargie persistante du marché de l’immobilier jettent une lumière crue sur le bilan économique de la Maison-Blanche, au moment où elle en avait le moins besoin.
« Contrairement à FDR (Franklin Delano Roosevelt, NDLR) au plus profond de la Dépression, Barack Obama n’a pas réussi à restaurer la confiance dans l’économie », estime l’éditorialiste de « Newsweek », Michael Hirsh, en brocardant le « Old Deal d’Obama ». De fait, selon le dernier sondage d’AP-GFK publié le 18 août, seuls 41 % des Américains approuvent désormais la gestion de l’économie du président démocrate, contre 56 % de mécontents, même si sa cote de popularité personnelle reste relativement élevée (49 %) à mi-mandat. Non seulement le doute s’installe sur la portée réelle du plan de relance budgétaire de 787 milliards de dollars lancé en mars 2009 – « trop modeste », répète Paul Krugman depuis plusieurs mois -, mais la crédibilité de son équipe économique copilotée par Larry Summers et Tim Geithner est également contestée. Ceux-ci sont trop enclins à ménager Wall Street et à gommer les aspects les plus « rugueux » du « dispositif Volcker », aux yeux d’une partie des sympathisants démocrates. Même si la Maison-Blanche a réussi à boucler sa réforme de Wall Street en juillet, nombre d’analystes y voient encore au mieux un encadrement modeste des excès de Wall Street, au pire un coup d’épée dans l’eau.
Face au fléchissement de la reprise, la Maison-Blanche n’a pas encore lancé de signal très audible. Elle a encore deux mois pour restaurer la confiance et tenter de préserver sa majorité au Congrès le 2 novembre. Il y va de la sauvegarde de son « capital politique » pour continuer les réformes. En 1994, deux ans après la victoire de Bill Clinton, les républicains avaient regagné la majorité au Congrès, pour la première fois depuis quarante ans, en remportant 52 sièges à la Chambre et 8 sièges au Sénat. Cette fois-ci, il leur suffirait de reprendre 40 sièges à la Chambre et 8 à 10 au Sénat. Paradoxalement, pour éviter une telle « humiliation », Barack Obama a encore deux grandes options. « Rassembler la nation autour d’un grand projet porteur digne de sacrifices » (en gros, la rénovation des infrastructures, les trains à grande vitesse et les énergies propres), comme le lui conseille le « New York Times », ou opter pour… un « virage centriste à la Clinton », comme l’y invite le politologue Douglas Schoen.
Pris en étau entre les frustrations libérales « à la Krugman » et une nouvelle fronde républicaine dopée par le mouvement populiste des Tea Parties, le président démocrate devrait encore choisir entre le parti risqué du « big government » ou un repli prudent sur une forme de « néo-clintonisme » donnant priorité à la réduction du déficit budgétaire. A priori, en laissant entendre lundi qu’il pourrait prochainement annoncer de nouvelles mesures de relance ciblées, il n’a pas renoncé à l’extension des baisses d’impôts de George W. Bush pour la classe moyenne au-delà de 2010. Mais il n’est pas dit non plus qu’il n’amorce pas un « virage clintoniste » pour mieux assurer ses arrières en 2012.
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