Le départ récent de Larry Summers et d’autres conseillers économiques de Barack Obama est révélateur d’un malaise profond. C’est la conséquence d’une impasse. L’Amérique manque d’idées neuves pour sortir de la crise. Le hasard a fait que l’annonce du départ de M. Summers coïncide avec le verdict officiel sur la fin de la récession, daté de juin 2009 par le Business Cycle Dating Committee, un groupe d’experts qui dépendent du National Bureau of Economic Research.
Pourtant, cette sortie de crise reste “invisible” sur le marché du travail, et donc peu crédible pour l’opinion. La récession, qui a duré dix-huit mois depuis décembre 2007, a été la plus longue depuis la Seconde Guerre mondiale. La plus “profonde”, aussi, du point de vue de la destruction d’emplois. Enfin, le constat que la récession est bien derrière nous “ne signifie pas que l’économie américaine ait repris à une vitesse normale”. Au contraire, elle continue à éliminer plus d’emplois qu’elle n’en crée. Après juin 2009, il y a eu une perte nette de 329.000 postes en quinze mois. À ce rythme, selon l’économiste Robert Gordon, de Northwestern University (l’un des membres du comité), “le taux de chômage restera au-dessus de 9% jusqu’à l’élection présidentielle de 2012”. C’est un niveau historiquement très élevé, inhabituel aux États-Unis, et difficile à gouverner dans ses conséquences sociales. “Pour l’empêcher, il faut agir tout de suite”, conclut Gordon.
Agir, mais comment ? Le départ de Larry Summers révèle l’impasse. L’ancien secrétaire au Trésor du président Clinton est le symbole d’une époque marquée par une conviction très répandue chez les dirigeants américains : l’idée que la mondialisation est un “jeu où tout le monde peut gagner simultanément”, où les États-Unis peuvent avoir d’énormes gains, alors que la Chine, l’Inde et le Brésil en profitent aussi. Cette vision est ébranlée aujourd’hui. En 2009, le nombre de travailleurs américains dont le licenciement a été une conséquence du commerce extérieur, a augmenté de 59% par rapport à l’année précédente. Ceux qui se font réembaucher après un licenciement doivent accepter en moyenne un salaire réduit de 20% par rapport à leur poste précédent. La production américaine de panneaux photovoltaïques pour l’énergie solaire ne représente désormais que 5% des marchés mondiaux : c’est une technologie que les États-Unis ont inventée il y a trente ans, et qui est désormais sous l’emprise de la Chine.
Une certaine idée de la mondialisation, “à la Summers”, décrivait un monde où les emplois perdus dans l’industrie pouvaient être compensés par de nouveaux emplois, mieux payés, dans les services. Face à la compétition des pays émergents, l’Amérique aurait dû se spécialiser dans des activités de plus en plus qualifiées. Or, ces dernières années ont vu la croissance des exportations technologiques “made in China” ou “made in Brazil”. Cela explique la tension commerciale croissante entre Washington et Pékin, la pression d’Obama pour obtenir un renminbi plus fort, et la tentation protectionniste qui unit démocrates et républicains au Congrès.
On célèbre la fin de “l’ère Summers” sans qu’il y ait une stratégie alternative. Le Parti républicain a présenté son nouveau programme, “Pledge to America”. C’est un ramassis de vieilles idées déjà appliquées depuis Ronald Reagan jusqu’aux Bush père et fils, y compris le maintien des réductions d’impôts sur les revenus des contribuables les plus riches, au-dessus de 250.000 dollars de revenus annuels, qui jouissent d’un taux de prélèvement parmi les plus bas au monde (36,5%). Le milliardaire Warren Buffett a dit : “nous sommes en plein dans la lutte des classes, mais c’est ma classe qui combat cette lutte et qui la gagne. “
La gauche du Parti démocrate, inspirée par le Prix Nobel d’économie Paul Krugman, voudrait une nouvelle augmentation des dépenses publiques pour soutenir l’emploi. Mais cette stratégie n’avait pas réuni de consensus suffisant il y a un an. Elle sera encore plus minoritaire après les élections de novembre.
Dans ce vide, le seul acteur qui se prépare à intervenir est la Federal Reserve. Elle a signalé qu’elle peut à tout moment recommencer à acheter des titres de la dette publique à long terme, ce qui équivaut à créer plus de liquidité. Hélas, une augmentation de la liquidité ne se traduit pas en de nouveaux investissements. Les entreprises gardent 6,2% de leurs actifs sous forme de cash, un niveau record qui n’était pas atteint depuis les années 1960 : le manque de visibilité et de confiance n’incite pas à embaucher. Finalement, la planche à billets de la Federal Reserve aura un effet certain, c’est l’affaiblissement du dollar, qui peut aider les exportations. C’est l’économie européenne qui en fera les frais.
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