Tariq Ali: “For Obama, ‘Yes We Can’ Means ‘Keep on Doing As Before’!”

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Tariq Ali: «pour Obama, Yes we can veut dire faire comme avant!»

Propos recueillis par Christophe Ventura | Jeudi 25 Novembre 2010 à 18:01 | Lu 5202 fois

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Pour Tariq Ali, intellectuel d’extrême gauche engagé depuis les années 1960, Barack Obama n’a pas été à la mesure des espoirs que le monde entier avait placés en lui. A peine élu que déjà il marchait sur les traces de Reagan et de Clinton. Économie, relations internationales, politique… l’auteur de « Obama s’en va-t-en guerre» dresse un sombre bilan de l’action du président américain.

Christophe Ventura : Selon vous, Barack Obama inscrit son action dans la tradition politique de Ronald Reagan et de William Clinton. Qu’entendez-vous par là ?« c »

Tariq Ali : Le consensus élaboré par Ronald Reagan et Margaret Thatcher régit toujours les États-Unis et le monde. Il s’agit d’une combinaison de néolibéralisme et de guerre. N’oublions pas que l’un des premiers changements de régime organisé au cours des récentes décennies fut la guerre de la « Contra » du Nicaragua, soutenue par les États-Unis. Sur le plan intérieur, il s’agissait de mener des politiques de privatisation et de dérèglementation.

Ce sont ces politiques qu’a conduit Ronald Reagan. L’aboutissement de ce cycle est le krach du système de Wall Street en 2008. Dans ses discours et ses livres, Barack Obama fait l’éloge de Reagan comme modèle de président ayant uni le pays. C’était aussi l’objectif d’Obama : le bipartisme. Ici, il s’inscrit aussi dans l’héritage direct de Clinton. Mais son triomphe électoral a coïncidé avec l’éclatement de la plus colossale crise économique depuis la Grande Dépression. En conséquence, ses propres partisans ont voulu plus que du bipartisme. Quant à ses adversaires, ils le détestent et ne lui font pas confiance. Le résultat des élections de mi-mandat a reflété cette humeur aux États-Unis.

Barack Obama est présenté par les médias comme le nouveau visage des États-Unis, la figure d’un espoir de pacification des relations internationales. Vos critiques à son sujet sont précises : il est un homme politique opportuniste et habile, « un président des beaux discours » qui pratique « la politique du slogan » et tente « d’unir les contraires ». Qu’est-ce que cela signifie-t-il ?

Cela signifie qu’il est bon pour les choses sans intérêt et faible pour mettre en place les véritables politiques qui pourraient permettre d’aider les chômeurs et les non-privilégiés. Les disparités dans l’accès à la santé ont encore augmenté en 2009. La première année au pouvoir d’Obama a favorisé les riches ! Comme en Europe, ce fut l’austérité pour les travailleurs et les pauvres et le luxe pour les riches. La musique d’ambiance a changé à la Maison Blanche. Mais rien de plus. Et la musique d’ambiance n’a aucun effet sur les 15 millions d’Américains sans emploi et la population d’Irak, d’Afghanistan et de Palestine. Pourtant, quelques illusions subsistent chez les libéraux américains et ses « groupies » européen du centre-gauche. Les Européens pensaient que s’ils devaient se prosterner devant la grande puissance hégémonique de l’autre côté de l’océan, mieux valait que ce soit devant cet empereur de la Sainte Europe romaine plutôt que devant son calamiteux prédécesseur. Pour les élites européennes, le changement de musique d’ambiance compte plus que n’importe quel changement réel.

Dans votre ouvrage, vous défendez l’idée que Barack Obama ne serait rien d’autre que « la forme la plus inventive que l’Empire ait su donner de lui-même ». Karl Marx estimait que parfois, la bourgeoisie a besoin d’un nouveau dirigeant politique capable de donner l’impression d’un renouvellement des relations sociales pour pouvoir reproduire le système. Diriez-vous qu’il s’agit là de la fonction de Barack Obama ?

Exactement. Il se pourrait qu’Obama soit à la veille de son 18 brumaire. Il est important de comprendre qu’en choisissant Robert Gates comme secrétaire à la défense, Obama envoyait un message clair : nous continuerons comme avant dans le monde. Robert Gates est l’homme qui a organisé la « Contra » au Nicaragua ! La guerre en Afghanistan a décrédibilisé la présidence d’Obama. La situation sur place empire mais le général Petraeus n’est pas favorable à une stratégie de sortie.

Que pensez-vous de la politique de l’administration Obama en Amérique latine aujourd’hui, les États-Unis jouent-elles un rôle concret pour déstabiliser les gouvernements progressistes au Venezuela, en Équateur ou en Bolivie ? Et quels sont leurs objectifs et leur stratégie au Brésil et à Cuba ?

Le coup d’État contre Hugo Chavez était soutenu par les États-Unis et l’Espagne. La ridicule tentative putschiste contre Rafael Correa en Équateur il y a quelques semaines n’aurait pas pu se faire sans l’approbation de l’ambassade des États-Unis à Quito. Hillary Clinton et Barack Obama, malgré leurs paroles, ont soutenu l’armée hondurienne qui a déposé un président élu. Le « Plan Colombie » est conçu pour déstabiliser le gouvernement bolivarien du Venezuela.

A Cuba, les États-Unis ont un objectif : le changement total de régime pour permettre le retour au statu quo ante. Ils attendent la disparition des frères Castro pour lancer leur offensive. Celle-ci sera financière, pas militaire. Ils veulent que Cuba devienne comme un nouveau Las Vegas, une fois qu’ils auront acheté certains généraux cubains et des apparatchiks du parti. Beaucoup d’entre eux ont une mentalité qui n’est pas très différente de celle de leur anciens équivalents d’Europe de l’Est. Je connais des cas de vieux responsables du parti qui demandent de l’argent aux hommes d’affaires occidentaux. Mais qui sait ? Peut-être que les dirigeants de l’après-Castro envisageront une coopération plus étroite avec la Chine et suivront le modèle de Pékin.


Au Brésil, le Parti des Travailleurs a refusé de s’aligner sur Washington au niveau international, sauf pendant l’intervention en Haïti qui fut d’ailleurs un désastre total. Les illusions de Lula sur Obama ont vite disparu. Sur le plan interne, le Brésil conserve une approche néolibérale sauf pour le programme « Bolsa familia » qui est positif, mais insuffisant. L’éducation, le logement et la situation sanitaire appellent des réformes structurelles.

La tournée d’Obama en Asie de dix jours a culminé avec le Sommet du G20 à Séoul, où il a notamment lancé un appel concernant les bonnes relations à établir avec les musulmans en Indonésie ? Que pensez-vous des conclusions du G20 qui n’a pas approuvé les propositions des États-Unis sur les questions monétaires et commerciales ?

Les mots aimables ne font pas une politique. De bonnes relations avec l’Islam en Indonésie, mais pas en Afghanistan ou en Palestine ? Le G20 de Séoul a refusé d’accepter la pression des États-Unis pour isoler la Chine. C’est la seule chose intéressante à retenir de ce Sommet qui a été par ailleurs inutile comme toujours. Cela reflète l’impact de la crise sur les principaux acteurs du jeu mondial. Ce Sommet n’a rien fait pour l’Afrique et les Brésiliens ont eu raison de ne pas participer aux réunions de préparation. Nous avons besoin de rencontres continentales : Amérique du Sud, Asie centrale et du Sud, Asie orientale et Afrique, et bien sûr États-Unis et Union européenne.

Selon vous, quel est le rapport de forces entre les États-Unis et la Chine ? Que peut faire l’Empire confronté à cette nouvelle puissance ?

Sur le plan économique, comme nous le savons, la Chine est le nouvel atelier du monde. Mais politiquement et militairement, elle ne peut pas concurrencer les États-Unis. Elle ne manifeste d’ailleurs aucun signe de vouloir le faire. Les dirigeants chinois défendent leurs intérêts nationaux et ce sont ceux-ci qui déterminent leurs stratégies. Jusqu’à présent, l’économie chinoise reste très étroitement liée à celle des États-Unis. Une longue récession aux États-Unis affectera le capitalisme chinois.

Deux ans après sa grande victoire populaire, Obama semble avoir perdu toute possibilité de reformer – si cela était sa volonté – le pays dans un sens plus progressiste. Après la lourde défaite des démocrates aux élections de mi-mandat (et bien qu’ils aient conservé la majorité au Sénat), peut-on espérer un changement dans l’action d’Obama ?

Non. Comme je l’explique dans mon ouvrage, il avait commencé à virer à droite avant sa propre victoire. Sa « réforme » du système de santé était, en réalité, une capitulation devant les géants de l’industrie pharmaceutique et des assurances. « Yes we can » signifiait en réalité « Oui nous pouvons continuer à faire comme avant ». Le plan de santé publique de Nixon était en fait bien plus radical que celui-ci !

Comment expliquez-vous la défaite démocrate et le fait que les électeurs démocrates semblent connaître une grande désillusion avec Obama ?

Comme je l’ai dit, la défaite trouve sa source dans le fait que beaucoup des électeurs d’Obama sont restés à la maison. Cela était joué d’avance. Même George Soros a formulé une critique de gauche à Obama en disant, avec Joseph Stiglitz et Paul Krugman, que c’est Wall Street qui décide des politiques économiques du pays. Les instincts politiques d’Obama sont pathétiques. Un récent article de William Galston dans The New Republic révélait que, durant le printemps 2009, Obama avait approuvé les bonus des banquiers sans avoir imaginé que cela pourrait indigner les gens. Il a simplement suivi les avis de Lawrence Summers et Timothy Geithner. Soros, à l’opposé de Geithner, souhaite davantage d’intervention de l’État et le développement de projets d’infrastructures pouvant relancer l’économie. Il a raison. L’Europe, la Grèce et l’Irlande offrent quelques leçons en la matière.

Aujourd’hui, qui est affaibli, Obama ou l’ Empire ?

C’est Obama. L’Empire a connu des déconvenues, mais rien de trop sérieux. Rappelons qu’après la victoire vietnamienne en 1975, beaucoup disaient que les États-Unis étaient finis, qu’ils ne pourraient plus intervenir militairement, nulle part. Mais ils l’ont refait, dans la dernière période et avec le soutien des Européens. Aucun pays d’Europe de l’Ouest n’a envoyé des troupes au Vietnam. Le général de Gaulle était très critique envers cette guerre. Aujourd’hui, les élites européennes, divisées sur la question de l’invasion de l’Irak, ont en revanche soutenu son occupation. Dans d’autres situations aussi, les Européens ont perdu tout sens de l’indépendance. Ils suivent le Saint empereur impérial sans se demander qui porte la couronne.

Comment les États-Unis, confrontés à une importante crise et à l’instabilité internationale, peuvent-ils s’en sortir, par une nouvelle aventure guerrière ?

Peut-être, mais cela ne serait pas le plus facile maintenant. Les Israéliens font pression en faveur d’une action de destruction des réacteurs nucléaires iraniens. Il s’agit pour eux de conserver leur monopole nucléaire dans la région. Pour Washington, accepter cette option serait dangereux pour ses propres intérêts.

Le Pentagone reste hostile à cette idée. Et pour de bonnes raisons. Cela pourrait signifier la fin de la partie en Irak si les partis chiites qui avaient jusqu’ici collaboré avec les occupants se retournaient désormais contre eux. L’Iran pourrait en faire autant en Afghanistan et au Liban.

Ainsi, une nouvelle guerre n’est pas aussi évidente qu’il y paraît. Bien sûr, Angela Merkel a déjà dit qu’elle la soutiendrait, tout comme Nicolas Sarkozy et David Cameron, mais le Pentagone n’est toujours pas convaincu par une telle option.

Tariq Ali est l’auteur de « Obama s’en va-t-en guerre», La Fabrique éditions, Paris, 2010, 15 euros..

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