La défaite des démocrates américains lors des élections de mi-mandat a fait couler beaucoup d’encre tant la victoire des républicains et des Tea Parties était annoncée. Avec seulement quelques semaines de recul, quelles conclusions, forcément provisoires, peut-on tirer sur l’avenir de la politique étrangère de Barack Obama ?
Il faut d’abord éviter une erreur qui a trop souvent été commise à propos de la présidence Obama : la sur-réaction. Pronostiquer la fin du président américain est tout aussi ridicule que d’avoir attendu de lui des miracles. Obama n’est pas le messie, sa défaite aux mid-terms n’est pas sa crucifixion non plus.
En effet, le système politique américain est habitué à ce qu’il y ait une forme d’opposition entre le Congrès et le gouvernement. C’est d’ailleurs le fondement du système américain de “check and balances” : aux Etats-Unis, la séparation des pouvoirs repose sur l’obligation pour les branches législative et exécutive de coopérer entre elles. On est donc bien loin de la cohabitation “à la française” qui est plutôt synonyme d’empêchement et de blocage.
Pour autant, la vie de Barack Obama sera très certainement plus compliquée. S’il conserve la plénitude de ses pouvoirs propres en matière de politique étrangère, pour certaines grandes décisions, comme la ratification des traités ou le vote du budget des forces armées, la contrainte parlementaire obligera le président à négocier avec son opposition républicaine.
Des tentatives de sabotage des Républicains ne sont pas à exclure. Un premier exemple en est leur refus de voir ratifié le traité “nouveau Start” signé avec la Russie au printemps dernier. Un deuxième exemple concernera les négociations climatiques où il est plus que probable désormais que les Etats-Unis ne s’engageront pas avant 2012 dans un processus contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Indépendamment de ces jeux institutionnels somme toute classiques, la leçon la plus importante à tirer de ces élections est que Barack Obama va plus que jamais se recentrer sur la politique intérieure et le redémarrage de l’économie américaine. Après une première partie de mandat où il lui a été reproché, mezzo vocce, de consacrer trop de temps au monde, il doit impérativement “délivrer”, pour reprendre un américanisme significatif, sur le front de l’emploi. Barack Obama, épaulé par Hillary Clinton, connaît trop bien le slogan – “It’s the economy, stupid” – qui avait permis à Bill Clinton de l’emporter face à un George Bush, pourtant auréolé de la campagne victorieuse “Tempête du désert” contre Saddam Hussein, et des pourparlers de paix entre israéliens et palestiniens.
Pour obtenir des résultats économiques rapides et faire diminuer le chômage américain, Barack Obama n’hésitera pas à durcir le ton en matière de relations économiques internationales. On l’a déjà vu avant le G20 de Séoul où les Etats-Unis ont décidé, de manière unilatérale, d’injecter 600 milliards de dollars dans le système monétaire américain et mondial afin de relancer la croissance américaine – c’est la raison officielle – et, surtout, de faire baisser le dollar par rapport aux devises surévaluées, au premier chef le yuan chinois, c’est la raison officieuse. De même, il est quasiment certain que les Etats-Unis vont multiplier les mesures de nature protectionniste afin de protéger leur marché intérieur et de permettre un redémarrage de l’emploi industriel tout en cherchant encore plus agressivement à ouvrir les autres marchés.
INSTINCT DE SURVIE POLITIQUE
L’économie comme première priorité, donc. Il serait toutefois erroné de considérer que les impératifs stratégiques seront totalement absents. Mais là encore, indépendamment des convictions personnelles du président américain, ses positions futures seront inspirées plus que jamais par son instinct de survie politique. De ce point de vue, deux dossiers sont particulièrement brûlants.
Le premier, c’est l’Afghanistan où le contingent américain atteindra bientôt 100 000 hommes. Certes, ce n’est pas le Vietnam, mais les temps ont changé et le degré d’acceptation des pertes par le peuple américain n’est plus le même. Ceci est d’autant plus vrai, qu’avec le temps et les changements de stratégie – trois à quatre en deux ans – même les meilleurs experts perdent leur latin sur la nature et le sens de l’engagement occidental et américain en Afghanistan. La première priorité de Barack Obama sera donc de démarrer le rapatriement des “boys” et d’offrir une perspective crédible de sortie du conflit. C’est ce qui explique, et seulement cela, la décision prise par l’OTAN au sommet de Lisbonne d’engager le retrait en 2011 et de le terminer en 2014.
Le deuxième dossier important pour Barack Obama, c’est l’Irak. Il ne faut jamais oublier qu’il a bâti sa légitimité présidentielle sur l’Irak, ayant été l’une des très rares figures nationales américaines à contester dès l’origine l’invasion et l’occupation. Certes, le retrait était déjà envisagé sous Georges W. Bush, mais Barack Obama a tenu bon contre ceux qui voulaient le retarder, il a même accéléré. Depuis août, les forces américaines ont officiellement mis un terme à leurs opérations de combat et d’ici fin 2011 elles auront totalement quitté le pays. Si la situation à Bagdad reste sous contrôle, alors ce sera un véritable gage de crédibilité pour Barack Obama notamment quant aux engagements qu’il prendra avec le peuple américain concernant l’Afghanistan. En revanche, si la situation se détériore, si Al Qaeda reprend de la vigueur face à une classe politique fracturée, alors Barack Obama sera en très mauvaise posture.
Au-delà de l’Afghanistan et de l’Irak, il faut bien sûr compter sur les impondérables, les événements qui échappent à la prévision. N’oublions pas que la première présidence de George W. Bush, qui avait démarré sous des jours plutôt isolationnistes, a changé du tout au tout après le 11 septembre 2001. De ce point de vue, Barack Obama n’est pas à l’abri d’un attentat terroriste d’envergure, d’un conflit régional qui dégénérerait, de nouvelles provocations en Iran sur le dossier nucléaire malgré la main ouverte tendue par le président américain, etc.
Une dernière question est celle du conflit israélo-palestinien. Je crois que notre envie si grande de voir ce conflit interminable enfin trouver une issue nous empêche d’appréhender un fait simple : en l’état actuel des choses, Barack Obama n’a aucun intérêt à abîmer son crédit politique dans ce dossier. Sans aucune garantie de succès – la clef résidant dans la solidité du gouvernement Netanyahu – le président américain s’aliénerait plus sûrement l’électorat juif qui sera déterminant pour gagner la prochaine présidentielle.
On ne peut toutefois exclure une percée. Barack Obama a montré qu’il était sincèrement à la recherche d’une paix juste. De ce point de vue, son engagement ne peut être remis en cause. Mais il faut être réaliste : il est plus probable qu’il mette en sourdine la résolution de ce conflit jusqu’à l’élection présidentielle et qu’il le reprenne en main après avoir été réélu.
Bien sûr, si la situation sur le terrain venait à se dégrader considérablement, que ce soit par une provocation des uns ou des autres, ou par une chute du gouvernement israélien, alors une fenêtre d’opportunité pourrait se rouvrir.
En conclusion, la défaite de Barack Obama lors de ces élections conduira le président américain à mesurer de façon plus réaliste les avantages et les inconvénients qu’il peut retirer de ses prises de position sur la scène internationale. Barack Obama nous avait habitués depuis 2008 à de grands discours, généreux, visionnaires, qui avaient séduits l’opinion publique mondiale. Les résultats n’avaient pas été à la hauteur de ces promesses. Avec la reconduction de son mandat en 2012 en ligne de mire, on peut penser que Barack Obama fera moins de grands discours et recherchera plus d’efficacité pour être réélu. Il n’y a pas lieu de le regretter si cela permet, au bout du compte, d’obtenir des résultats tangibles.
Hervé de Charette, ancien ministre des affaires étrangères, député de Maine-et-Loire
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