An American in Paris

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Depuis le temps que ça me travaille, il faut que je sache : les Parisiens sont-ils vraiment des têtes de chien, les Parigots, des têtes de veau ? En d’autres termes, sommes-nous si lamentables avec les touristes ? Ça tombe bien, je dois rédiger un papier sur Paris et, ce matin, à Roissy, j’arrive tout juste de Miami. Et si je tentais le coup ? Allons-y, pour aujourd’hui, je suis une Américaine à Paris. Une Américaine, ça parle anglais et ça va droit au Centre Paris Tourism. La gentille dame au comptoir parle parfaitement ma langue, ce qui lui permet de me répondre, quand je lui demande où sont les plans de Paris en anglais (car il y en a en espagnol, italien ou allemand) : “We don’t have them in english for now but it’s the same map inside.” Puis elle m’indique la sortie pour les taxis, “gate eleven”. Un mauvais et un bon point.

Dehors, il fait bigrement froid, y a pas à dire, on était mieux à Miami. Le type avec son gilet fluo, au bout de la file des taxis, regarde le papier sur lequel j’ai griffonné mon adresse. “Est-ce que je peux y aller en taxi ?” je demande. “Yes, sure, you can”, il me répond, avec un grand sourire. C’est louche. Dans le taxi, c’est encore pire. C’est un scandale. Le chauffeur parle anglais. Si, si ! Il me demande d’où je viens, si j’ai passé la nuit là parce que, assure-t-il, “three thousand people spent the night here yesterday”. C’est la caméra cachée, ou alors l’office de tourisme de Paris m’a suivie. Dehors, il fait gris, il reste de la neige sur les bas-côtés, la route n’est pas entièrement dégagée et la circulation est un enfer. Ah, me dis-je, il va m’entuber sur la course, tout le monde sait ça, le taxi parisien est une hyène qui dévore sa proie de touriste, pauvre victime qui ne parle pas français et ne peut pas exiger d’un ton sec son “itinéraire préféré”. De fait, il prend un chemin étrange. Je le tiens. Mais non. Finalement, la course me coûte 10 euros de plus que d’habitude, soit bien moins que ce que j’aurais dû débourser si nous étions restés, à l’arrêt, sur le périph’. Et il me salue gentiment quand je sors. Ça s’annonce mal, cet article.

Une conspiration

Rue Joseph de Maistre, dans le 18e arrondissement, je prends possession de mon appartement pour la nuit : un gentil deux-pièces bien meublé, devant une petite place, un fantasme de touriste. C’est l’agence Rue Amandine qui a monté ce “voyage”, sa créatrice a eu la délicate attention de laisser dans la petite cuisine un fromage de chèvre en forme de tour Eiffel, une petite bouteille de vin, de la baguette, de la confiture, du thé, du café, une madeleine, toute chose dont le léger fumet me rappelle que la France, ce n’est pas si mal. Amandine, aussi, maîtrise l’anglais et accueille tous les clients dans les appartements, tout en commentant le voyage qu’elle leur a monté sur mesure. C’est à croire que nous ne sommes pas si mauvais, en tourisme. Ça m’ennuie de révéler ce genre d’informations, ça va nuire à la réputation exécrable et soigneusement entretenue des Parisiens.

Ce soir, je n’ai presque plus de doute : c’est une conspiration. À la Cave des Abbesses, nos voisines se serrent en souriant pour nous faire une place, à mon amie Liz, une vraie Américaine, et moi. Et le personnel prend la commande en anglais. Quant au serveur du Miroir, rue des Martyrs, il peut expliquer toute la carte dans la langue de Shakespeare, du très bon foie gras à l’orange à la moelleuse tarte chocolat-caramel en passant par le veau fondant. Non, vraiment, pas moyen de bosser, avec ces Parisiens.

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