En renversant Saddam Hussein, l’ancien président américain a-t-il semé les germes de la démocratie dans le monde arabe ?
L’expédition en Irak de George Bush aurait-elle permis la révolte actuelle du monde arabo-musulman ?
L’idée fait son chemin : George Bush aurait été un précurseur, peut-être même un visionnaire. Il voulait diffuser la démocratie à travers tout le grand Moyen-Orient, d’Alger à Karachi. L’expédition d’Irak devait constituer la première étape d’un ébranlement qui allait répandre les lumières à travers tout le monde arabo-musulman. L’entreprise a paru sombrer dans la triste réalité du chaos irakien et se noyer dans la colère suscitée entre Nil et Euphrate par l’intervention américaine dans l’ancienne Mésopotamie. Mais voici que ces jours-ci, les néo-conservateurs qui entouraient George Bush relèvent la tête. Et si, finalement, le printemps arabe leur apportait a posteriori une éclatante justification ? Si, au fond, la soif de liberté qui pousse les peuples à se révolter était la meilleure preuve de la justesse de leurs analyses ? L’argumentaire est séduisant, la dialectique subtile mais largement biaisée.
Trois raisons à cela. D’abord, l’échec irakien. Le système politique mis en place à Bagdad sur les ruines du système baassiste est une vraie pétaudière. Il a fallu neuf mois pour former un gouvernement. Le pays est ravagé par les attentats. La minorité chrétienne, protégée sous Saddam, vit un véritable calvaire et risque de disparaître, contrainte à l’exil. Tout fonctionne sur une base confessionnelle, les différents clans chiites tenant le haut du pavé. La corruption règne en maître, y compris dans le Kurdistan autonome. L’écrasement de l’Irak a rompu l’équilibre multiséculaire entre le monde arabe et le monde perse, entre le chiisme et le sunnisme, et ouvert un boulevard à l’Iran dans toute la région.
Prématuré de crier victoire
Deuxième raison, les révoltes arabes sont purement endogènes. L’Occident n’est pour rien dans la tornade qui a emporté le Tunisien Ben Ali et l’Égyptien Moubarak et qui risque aussi de balayer Kadhafi. Ni Washington, ni Londres, ni Paris n’ont vu venir l’orage qui s’annonçait. Les chancelleries ont été prises de court, y compris l’ambassade américaine au Caire, qui compte pourtant 1 600 fonctionnaires… Leçon à tirer de cette expérience : les changements ne peuvent venir que de l’intérieur et jamais être imposés de l’extérieur. Et il faudra sans doute y regarder à deux fois, comme l’a souligné Alain Juppé, avant d’envisager une intervention en Libye.
Troisième raison enfin, personne ne sait sur quoi vont déboucher ces révoltes et il est prématuré de crier victoire. Elles portent un formidable espoir et véhiculent de nombreuses incertitudes. Il est encore trop tôt pour conclure qu’elles permettront partout l’instauration de systèmes plus démocratiques. En Tunisie, la maturité politique des contestataires d’hier peut éviter les dérapages et permettre au pays de se trouver des institutions viables et de se remettre au travail. Mais les surenchères peuvent tout faire basculer. En Égypte, l’armée sert de garde-fou. Mais jusqu’à quel point est-elle en mesure d’assumer la transition ? En Libye enfin, comment diriger un pays morcelé, dominé par la réalité tribale, une fois Kadhafi disparu ?
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