Quand l’Amérique réinterroge sa politique arabe
11/03/11 – JACQUES HUBERT-RODIER
Les Etats-Unis doivent-ils s’engager plus avant au Moyen-Orient ? Ou au contraire doivent-ils revenir à une politique étrangère du « benign neglect » (douce insouciance), de laissez-faire dans cette région ? Après le « wilsonisme botté » de George W. Bush qui envoyait son armée en Irak pour culbuter un régime jugé hostile à la « démocratie américaine », l’Amérique de Barack Obama s’interroge sur la nécessité, et la manière, d’intervenir pour soutenir les mouvements de démocratisation dans le monde arabe, voire plus militairement, d’imposer des zones d’exclusion aérienne en Libye pour protéger les populations contre les bombardements de l’aviation du colonel Kadhafi.
Le débat est ouvert à Washington. A l’une des extrémités, le Cato Institute, un think tank « libertarien » partisan du moindre gouvernement et de la plus grande liberté individuelle, avance sa thèse de non-interventionnisme. Face aux événements en Libye, dit ainsi Ted Galen Carpenter, l’Amérique doit adopter un « profil bas », car tout engagement américain risque d’avoir un effet contraire à celui recherché, qui est de promouvoir la démocratie. En d’autres termes, mieux vaut laisser les Libyens, comme les Tunisiens et les Egyptiens, se débarrasser de leur dictateur que de donner l’impression que ces changements sont le résultat de l’implication américaine. Dans une récente tribune, Doug Bandow, un autre chercheur du Cato Institute et ancien conseiller du président Ronald Reagan, affirme que « le gouvernement américain doit reconnaître sa capacité limitée à changer le cours des événements, et d’une façon favorable » au Moyen-Orient.
L’un des arguments avancés par l’institut « libertarien » est le coût disproportionné de l’aide américaine aux pays de cette région par rapport aux autres pays, pour un résultat minime. De l’Afrique du Nord jusqu’au golfe Persique, 5,3 milliards de dollars ont été dépensés en 2008. Mais d’après l’institut, le déploiement militaire américain depuis la première guerre du Golfe de 1991 contre l’Irak, pour protéger les exportations de pétrole d’Arabie saoudite et des autres pays de la région coûte de 30 à 60 milliards de dollars par an aux Etats-Unis. Au-delà de cette donnée comptable, cette politique a été contre-productive et a déclenché un fort sentiment d’anti-américanisme dans la région, sans parvenir à régler le conflit israélo-palestinien.
Quant au renversement du régime de Saddam Hussein en Irak, il a largement contribué au renforcement dans la région de l’Iran, aux yeux du centre de recherche. Le Cato Institute prône ainsi un désengagement « constructif » des Etats-Unis de cette région, en encourageant l’Union européenne, plus dépendante que les Etats-Unis du pétrole du Moyen-Orient et plus menacée d’un exode massif des pays du bassin méditerranéen que l’Amérique, à prendre un rôle « plus actif », comme le suggérait déjà Leon Hadar dans un ouvrage publié en 2005.
Le constat peut paraître juste sur de nombreux points. Mais cette vision politique est difficile à appliquer, voire impossible. En premier lieu, l’Union européenne qui se réunit aujourd’hui à Bruxelles pour se pencher sur la situation en Libye et plus généralement dans le monde arabe, est loin d’avoir la capacité à remplacer les Etats-Unis, militairement et surtout politiquement. Définir ne serait-ce qu’une position commune face aux tragiques événements en Libye est loin d’être une chose acquise. La France a été ainsi le seul pays européen à « saluer » dimanche dernier la création d’un conseil national de transition en Libye. Mais il n’est pas sûr que Paris obtienne aujourd’hui à Bruxelles une position commune des 27. Surtout, comme le souligne Alexander Lennon, du CSIS (Center for strategic and international studies), un autre think tank de Washington , « retourner à une politique de douce insouciance pour les Etats-Unis serait aller beaucoup trop loin dans le mouvement de balancier » par rapport à une politique d’interventionnisme à la George Bush fils. Entre attitude militaire et insouciance, souligne l’expert, il existe une palette de positions non pas pour « promouvoir » une démocratie à l’occidentale, mais pour « soutenir » le mouvement de démocratisation. « Les Etats-Unis doivent être plus patients car l’instauration d’une démocratie est un très long processus et ne dépend pas simplement de l’organisation d’élections », comme l’ont démontré les scrutins en Irak ou encore dans les territoires palestiniens. Mais il y a un point d’accord pour nombre d’analystes : l’Amérique doit être plus humble dans la définition de son rôle dans le monde.
L’une des pistes est une coopération renforcée au Moyen-Orient et pas seulement avec l’Europe mais aussi avec des pays comme l’Afrique du Sud, et pas seulement entre gouvernements mais aussi d’ONG à ONG, note Alexander Lennon lors d’un entretien.
Tout cela ne peut exclure un rôle de tout premier plan encore pour les Etats-Unis. Deux experts du Carnegie Endowment for International Peace (3), Michele Dunne et Robert Kagan, considéré comme l’un des chefs de file des néo-conservateurs, estimaient récemment que l’Amérique devait faire de la transition en Egypte « la priorité de sa politique » au Moyen-Orient. Et même si la réussite ou l’échec du printemps arabe dépend des peuples de la région « cela ne doit pas empêcher les Etats-Unis et les autres pays démocratiques de tout faire pour l’aider ». En d’autres termes, Barack Obama joue sa place dans l’histoire aussi au Moyen-Orient. Et l’Amérique ne peut tourner le dos à cette région.
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