L’erreur fatale de Ben Laden
Le Point.fr – Publié le 02/05/2011 à 16:12 – Modifié le 02/05/2011 à 17:35
Le terroriste le plus recherché du monde a eu le tort de penser que lorsqu’on frappe fort les Américains, ils finissent par se décourager.
Par MICHEL COLOMÈS
Les milliers d’Américains qui se sont spontanément rassemblés une bonne partie de la nuit devant la Maison-Blanche, à Washington, ou à Ground Zero, à New York, là où s’élevaient les tours jumelles du World Trade Center avant le 11 septembre 2001, avaient tous le même sentiment. Les drapeaux étoilés brandis avec fierté et les “God Bless America” repris à l’unisson avaient tous la même signification : après neuf ans et huit mois de deuil et d’humiliation, le responsable d’un des drames les plus éprouvants et d’un des plus grands affronts qu’aient connus les États-Unis était enfin hors d’état de nuire. Et les Américains retrouvaient les vieux réflexes de justice vengeresse et expéditive qu’ils n’ont jamais complètement perdus depuis la conquête de l’Ouest : “We got him”, nous l’avons eu, proclamaient des banderoles, répondant aux mots mêmes de Barack Obama annonçant qu’un commando américain avait tué Oussama Ben Laden : “Justice est faite”, a dit simplement le président.
Tout comme les Japonais avaient mal mesuré les conséquences terrifiantes qu’aurait pour eux, quatre années plus tard, leur perfide attaque de décembre 1941 contre Pearl Harbor, Ben Laden a peut-être sous-évalué la rage et l’envie de vengeance qu’il allait provoquer en frappant le World Trade Center le 11 septembre 2001. Une action terroriste qui avait tué 3 000 innocents dans des circonstances atroces.
“Tigre de papier”
Dans les années 1990, après avoir pris une part très indirecte, en utilisant la fortune de sa famille, à la retraite des Soviétiques d’Afghanistan, Oussama Ben Laden était apparu sur la scène internationale en déclarant qu’après les Russes, les musulmans devaient s’en prendre partout dans le monde aux intérêts américains pour en finir une fois pour toutes avec la légende de cette “soi-disant superpuissance”. Et il avait alors expliqué dans différentes interviews qu’avec les Américains il suffisait de frapper fort pour les décourager. Une variante, en somme, de la fameuse théorie asiatique du “tigre de papier”.
Et Ben Laden poursuivait sa démonstration en se basant sur deux faits historiques récents qui avaient montré que les combattants du djihad, pourvu qu’ils soient déterminés, pouvaient faire battre en retraite la nation la plus puissante du monde : cela avait été le cas à Beyrouth après les attentats-suicides d’octobre 1983 contre le QG des forces américaines, qui avaient fait 241 morts, et celui de l’immeuble du Drakkar qui avait, le même jour, causé la mort de 58 soldats français.
L’Amérique n’a pas lâché
Quelques mois plus tard, en février 1984, Américains et Français, qui avaient été mandatés par l’ONU pour faire respecter la paix civile au Liban, avaient en effet abandonné la partie. Et il en avait été de même, en octobre 93, en Somalie. À la suite d’une opération héliportée ratée en pleine guerre civile, un épisode douloureux qui avait coûté la vie à 19 GIs, dont certains des corps avaient été traînés comme des trophées dans les rues de Mogadiscio, Bill Clinton avait décidé d’arrêter les frais.
C’est peut-être à ce moment-là qu’est née dans l’esprit pervers du chef terroriste l’idée non seulement de s’attaquer aux intérêts américains en terre d’islam, ce furent les attentats de Riyad et de Dhahran en Arabie saoudite, de Nairobi au Kenya et de Dar es-Salaam en Tanzanie, mais aussi de viser le “super-Satan” américain en plein coeur, là où éclatait le plus sa réussite, dans le quartier d’affaires de New York.
La théorie du “tigre de papier” à la sauce Ben Laden s’est pourtant révélée fausse. L’Amérique n’a pas lâché. C’est bien pourquoi elle a tellement célébré sa victoire ce 2 mai. L’Amérique fière d’elle-même était de retour. Même si la traque a été longue. Même si, commencée au début du premier mandat d’un président, la chasse à l’homme a seulement abouti après deux années et trois mois du mandat de son successeur, la promesse de George Bush n’a pas été oubliée : “Dead or alive”, mort ou vif, nous aurons Ben Laden, avait-il juré. Obama a tenu sa parole.
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