A peine la nouvelle de la mort d’Ossama Ben Laden, tué le 2 mai au Pakistan par un commando d’élite de l’armée américaine, avait-elle atteint les couloirs du Capitole que les architectes du système de lutte antiterroriste, mis en place par l’équipe Bush, relevaient la tête.
L’ex-vice-président Dick Cheney, son secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, le juriste John Yoo qui légalisa le recours à la torture, tous montèrent au créneau. Voilà donc, s’écrièrent-ils, la preuve que nous avions raison! Voilà donc qui justifie tout ce que les bonnes âmes démocrates nous ont tant reproché, les prisons secrètes de la CIA, le camp de Guantanamo, le waterboarding!
Leur raisonnement est simple. Si les geôliers américains n’avaient pas utilisé les “techniques d’interrogatoire poussé” – doux euphémisme désignant différentes formes de torture, comme la méthode du waterboarding, qui donne au détenu la sensation de se noyer – en questionnant les suspects de l’après-11-Septembre, ils n’auraient jamais réussi à en extraire les précieux renseignements qui ont mené à la capture du chef d’Al-Qaida.
Rien n’est plus faux. Le témoignage d’anciens responsables du renseignement, interrogés ces derniers jours par la presse américaine, ainsi qu’un examen minutieux des dossiers secrets de Guantanamo, communiqués par WikiLeaks à plusieurs journaux, dont Le Monde, montrent que ce ne sont pas les interrogatoires de Khalid Cheikh Mohammed, le “cerveau du 11-Septembre”, soumis pas moins de 183 fois à des séances de waterboarding, selon la CIA, qui ont été déterminants. Certes, Khalid Cheikh Mohamed a reconnu l’existence d’un messager de Ben Laden, mais il a induit ses interrogateurs en erreur, en mentionnant un faux nom et en minimisant son importance.
C’est finalement un faisceau de renseignements sur ce messager, recueillis notamment auprès de détenus dont il n’est pas établi qu’ils ont été torturés, qui a mis les Américains sur la piste du messager et, grâce à lui, sur celle du repaire de Ben Laden, près d’Islamabad.
La torture est immorale, et elle est illégale. Confrontés à cette question à plusieurs reprises dans leur histoire, les Français le savent: notre journal a même pris sa part dans le combat contre l’usage de la torture en Algérie. Ce que l’on sait sans doute moins, c’est qu’elle est aussi contre-productive. Il ne manque pas d’experts du renseignement, ni en France ni aux Etats-Unis, pour en témoigner.
Il n’est pas simple d’admettre, pour les anciens de l’équipe Bush, que c’est finalement celui qui a interdit les “techniques d’interrogatoire poussé”, Barack Obama, qui récolte les fruits de dix ans de traque et de travail de fourmi en offrant à l’opinion publique le trophée Ben Laden. Mais rien ne sert de travestir la vérité. Il reste maintenant au président Obama à venir à bout des autres vestiges désastreux du 11-Septembre: dire la vérité sur les prisons secrètes de la CIA, faire la lumière sur les prisonniers disparus. Et, surtout, fermer Guantanamo.
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