L’affaire DSK, et sa mécanique à suspense, ne quittera pas de sitôt l’imaginaire national. Disons, sans se payer de mots, qu’elle aura imposé le trépan d’une tragédie moderne.
Ce traumatisme public qu’elle dispense incendie l’opinion. On y voit poindre de brûlantes introspections. Ainsi la protestation des femmes françaises contre la jactance d’un machisme sûr de lui et dominateur. Ainsi encore la découverte, dans la justice américaine, du poids culturel de nos deux pays sur leurs institutions. Ainsi enfin du populaire et populiste procès intenté aux connivences élitaires, de la politique et de la presse.
Il y a, dans ces divagations, à boire et à manger. Mais le signe d’une société qui bouge en ses tréfonds. Et d’un “mai rampant”, dans les reins et les coeurs.
La tragédie se repaît toujours de la chute d’un “grand”. Et foudroyé, ce coup-ci, par le sexe, champion de l’inconscient humain, rôdeur des souterrains où les interdits sociaux le confinent.
“Grand”, DSK l’était. Par sa direction brillante d’un aréopage suprême, le FMI. Par sa candidature bien accueillie à la présidence de la France. Par le rayonnement et l’immense fortune d’Anne Sinclair, son épouse, journaliste vedette, longtemps plus célèbre que lui.
Nul ne sait encore ce qui s’est réellement passé au Sofitel. Mais la disgrâce de DSK aura d’emblée semé à tous vents sa réputation d’homme à femmes. Elle ne fait pas de ce don Juan un “grand seigneur méchant homme”. Mais l’indulgence empressée d’amis fidèles de DSK aura suffi pour réveiller, chez nombre de femmes, une indignation significative : elles veulent que la compassion pour le “présumé innocent” s’accompagne d’une égale compassion pour la “présumée victime”. Elles dénoncent le refus d’entendre la plainte “ancillaire” des femmes.
Accès d’un féminisme militant ? Non ! Réaction plutôt naturelle de leur émancipation ! Elles ont conquis la maîtrise des naissances. Bronché contre la soumission conjugale. Revendiqué une parité de traitement dans l’entreprise ou la Nation. Comme les Italiennes de Berlusconi, les Françaises en ont assez du spectacle avantageux des coqs de basse-cour. Elles vivent comme un malaise le soutien préjugé du “maître et seigneur”. L’oubli effarant de l’employée du Sofitel dans le babil éploré des mâles dominants leur donne le bourdon. Leur protestation n’est que le “marqueur” d’ une évolution qui, bien au-delà de l’alcôve, investit tous les foyers.
Fruit d’une culture et de moeurs pour nous étrangères, la justice américaine impose à tout prévenu, puissant ou misérable, un parcours avilissant. Ces menottes infligées à un homme non encore jugé ont choqué la France. Je me réjouis qu’on en ait, chez nous, interdit le protocole. Même si nous savons qu’un prévenu célèbre – pourvu qu’il eût été, chez nous, mis en examen – eût certes échappé au corridor infamant, mais nullement au déferlement médiatique. La même procédure américaine nous choquera encore lorsque l’opulence de la défense déchaînera, contre la plaignante, une inquisition propre à démolir son témoignage.
Conclusion ? Il n’y en a pas. La justice et la vérité ne font nulle part un couple idéal. Aucune justice n’est parfaite. L’américaine a ses travers, la nôtre aussi.
Une censure de connivences entre journalistes et politiques ? L’univers médiatique défie toute généralité. L’audiovisuel d’abord, puis le Net – avec ses foules de ragoteurs mais ses bons sites professionnels – ont explosé l'”écrit”. Aucune déontologie ne régente ce pandémonium.
Chaque média aborde la vie privée selon ses critères. Certains en font commerce, d’autres refusent d’y toucher. Le droit français la protège bien plus strictement que l’anglo-saxon. Pour la presse d’information, on tient que c’est mépriser la politique que de la traquer dans les draps de lit.Le Canard enchaîné, peu suspect de ménager les caciques, répète qu’il ne fouillera pas les alcôves. Dieu merci, il ne sera pas le seul !
On dira que, chez un homme public, une dépendance à l’alcool, à la drogue, au sexe, et qui menacerait la dignité de sa charge, mérite d’être rapportée. C’est à chaque journaliste d’en décider selon sa conscience. Des livres, des journaux ont, ces derniers mois, mentionné le goût affiché de DSK pour les femmes. Mais, sans plainte ou délit, ni le droit français ni l’éthique française n’autorisaient des dénonciations de trou de serrure et des diffamations de surcroît délictueuses.
Il est possible que les remous de l’affaire DSK, la prolifération de l’image et des images volées, la personnalisation croissante des hommes de pouvoir importent, peu à peu, chez nous, les usages américains. Qu’y faire ? Les médias évoluent au gré de leurs lecteurs. Et les démocraties au gré de leurs citoyens.
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