Edited by Patricia Simoni
La crise de la dette publique américaine a été traitée en France comme un blocage politique provoqué par des républicains radicaux et faisant obstacle à une solution technique simple. Si le blocage est réel, la solution n’est pas simple ; et le blocage n’est pas de ceux qui pourront se résoudre rapidement.
La situation de la dette publique américaine est beaucoup plus sérieuse que celle des grands pays européens : le déficit reste considérable cette année, à près de 9 % du produit national brut (PNB), soit près d’un tiers des dépenses fédérales. Si l’on ajoute à la dette fédérale les dettes des Etats et des collectivités locales (comme on le fait en Europe dans la dette au sens du traité de Maastricht), on dépasse désormais largement les 100 % du PNB, avec une tendance rapidement croissante.
Mais il y a plus grave : la structure de la dette et le niveau actuel des taux d’intérêt masquent des coûts qui risquent d’exploser. Les taux d’intérêt sur la dette publique américaine sont les plus bas jamais enregistrés pour aucun emprunteur à aucun moment de l’histoire : jamais les taux à court terme n’étaient descendus en dessous de 1 %, ce qui est le cas constamment depuis trois ans, et ce jusqu’à des maturités proches de cinq ans.
La maturité moyenne de la dette américaine étant courte – environ cinq ans en théorie, quatre si l’on considère la dette à long terme rachetée par la Banque centrale des Etats-Unis (Fed) dans le cadre du programme “Quantitative Easing 2” ou “QE2” (second plan monétaire de relance, de 600 milliards de dollars (413 milliards d’euros)) -, le budget profite pleinement désormais d’une dette presque gratuite. Le revers de la chose est que le service des intérêts explosera dès que les taux remonteront, ce qui affecterait significativement le budget.
La brièveté de la maturité de la dette présente un autre inconvénient majeur : il met les Etats-Unis à la merci d’une crise de confiance. En cas de blocage du débat budgétaire ou plus largement de crise politique, qu’elle soit interne ou internationale, la simple absence de renouvellement des bons du Trésor peut conduire à une crise de trésorerie.
Cette situation peut en particulier se présenter si la Fed continuait de racheter massivement de la dette publique au-delà de ce que la situation économique requiert, et donc était soupçonnée de monétiser volontairement la dette.
Les anticipations d’inflation (actuellement minimes, en tout cas telles que mesurées par les obligations indexées qui les évaluent à 2,2 % par an pour les dix prochaines années) et les anticipations de dépréciation du dollar pourraient alors augmenter brutalement, et les créanciers (spécialement étrangers) refuser de renouveler les bons du Trésor, sauf à des taux prohibitifs.
Les rentiers américains auraient alors sans doute le choix entre une taxe inflationniste et une augmentation des impôts. Cette situation a été connue dans beaucoup de pays très endettés au lendemain des deux guerres mondiales, et ces expériences montrent qu’il est difficile de stabiliser une situation d’emballement inflationniste dans des situations de conflit politique interne aigu.
Or les tensions politiques exacerbées par le Tea Party sont susceptibles de durer, car elles ont des racines profondes et pas de solution simple. Selon nombre d’analystes, la division politique des Etats-Unis n’a pas été si forte depuis la fin de la guerre de Sécession, en 1865. Celle-ci, qui commençait voici juste cent cinquante ans, opposait deux sociétés qui avaient peu à peu divergé. L’esclavage constituait évidemment le principal motif du conflit, mais il n’était qu’un révélateur.
Au Nord, une alliance entre industriels et fermiers individuels reposait sur des hauts salaires permis par l’investissement industriel, l’éducation de masse et la distribution des terres “vierges” de l’Ouest aux pionniers. L’industrialisation s’appuyait sur le progrès technique, les ressources naturelles et le protectionnisme.
Au Sud, une société dominée par des aristocrates esclavagistes refusait l’éducation et le soutien à l’industrialisation au profit d’une agriculture dont la profitabilité dépendait de l’esclavage et du libre-échange.
Aujourd’hui, les fronts ont changé : les élites culturelles des côtes Atlantique et Pacifique (ainsi que des grands lacs), mondialisées, innovantes et postindustrielles, s’opposent aux classes moyennes du centre et du sud du pays. Celles-ci sont bloquées dans des spécialisations obsolètes ou une agriculture dont le modèle intensif s’épuise ; leur insularité culturelle et une vague de renouveau évangélique conservateur les conduisent à se rebeller contre la mondialisation et contre l’Etat fédéral.
Cette tension est plus profonde qu’en Europe, et ses effets sont accrus par son caractère fortement régionalisé, qui peut conduire à de vrais blocages au Congrès.
Ces vraies difficultés financières comme ces tensions politiques justifient sans doute la dégradation de la note des Etats-Unis par Standard & Poor’s, dont on peut espérer qu’elle conduise à un sursaut. Les solutions sont connues (restriction de dépenses de santé exagérées et inefficaces ainsi que des programmes militaires, et taxation accrue des hauts revenus actuellement sous-imposés). Mais les lobbies les plus puissants s’y opposent pour l’instant avec succès.
On espère qu’ils comprendront que, avant même la répartition des coûts, le maintien de la stabilité économique et politique des Etats-Unis est leur premier intérêt.
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