Si on estime que le 11 septembre 2001 n’est pas venu bouleverser l’ordre mondial, comment expliquer le déferlement médiatique auquel on assiste à l’occasion de son 10e anniversaire ?
Il a une telle ampleur, qu’il est difficile de croire qu’il n’est pas le fruit d’une rupture historique majeure. Les médias n’en ont pas fait autant au moment du 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin, date pourtant, fût-ce symbolique, de la fin d’un monde bipolaire.
Il faut déjà voir de quelle façon le sujet est abordé. C’est avant tout sous l’angle de l’émotion du regard ou des souvenirs des victimes que l’on parle du 11/9. Il y a très peu d’analyses sur les conséquences politiques ou stratégiques des attentats.
Pourquoi cette émotion ?
Ces attentats n’ont pas été l’événement qui ont suscité le plus de victimes dans la période récente. Tout d’abord évalué à 6 000, le nombre de morts a été ramené à 3000. C’est peu comparé au nombre de victimes du tremblement de terre en Haïti ou du tsunami en Asie du Sud-Est ; on peut être sûr cependant que le 10e anniversaire, s’il sera évoqué, occupera moins d’espace médiatique. Certes ces événements sont liés à des catastrophes naturelles et relèvent moins directement de la sphère politique. La tragédie de Bhopal, qui n’est pas une catastrophe naturelle, n’a pas donné lieu aux mêmes types de commémoration. C’est également peu par rapport aux près de 5 millions de morts suscités par le conflit en République Démocratique du Congo, mais celui-ci s’est développé sur la durée et n’est pas dû à un événement unique. On pourrait parler de cet autre 11 septembre, celui de 1973 et du coup d’état au Chili.
Même si le 11 septembre n’a pas modifié les rapports de force internationaux, il a bel et bien créé un effet de sidération et c’est de cette sidération dont nous ne nous sommes pas encore remis aujourd’hui, qui explique le fossé entre l’impact sur la structure des relations internationales (faible) et l’impact dans les esprits (extrêmement fort). On croyait les États-Unis invulnérables et inattaquables, les tours jumelles appartenaient à l’imaginaire collectif mondial, l’événement a été vu en direct et a été repassé en boucle à la télévision.
Si l’empathie a joué de façon accentuée et continue, c’est bel et bien parce que les Occidentaux se sont sentis davantage concernés par les événements. Parce que les victimes étaient occidentales.
On se rappelle de l’argument mis en avant pendant les guerres balkaniques qu’« un nettoyage ethnique à deux heures d’avion de Paris » était inacceptable ; cela voulait dire en creux que s’il avait eu lieu un peu plus loin il devenait acceptable.
Notre émotion est toujours plus forte lorsque les médias et leurs responsables – et sans doute aussi une grande partie du public – s’assimilent plus facilement aux victimes. La morale est encore à géométrie variable, indexée, non pas sur le nombre de victimes, mais à notre sentiment de proximité.
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