Les signes de reprise se confirment si régulièrement aux Etats-Unis depuis l’automne que l’expansion est cette fois officiellement de retour. Pourtant, la Maison Blanche ne fanfaronne pas, ses opposants républicains n’osent pas en parler et les analystes économiques aux quatre coins du pays manifestent leur inquiétude. Explication.
A la fin de l’Eté 2011, lessivés par plusieurs mois de déceptions sur le front de la croissance, les Etats-Unis se préparaient à affronter une violente rechute dans une récession qui ne leur avait laissé que quelques moments de répit. “Si l’Histoire est un guide, les risques que l’économie américaine soit en train de replonger dans la récession ont considérablement augmenté au cours des dernières semaines et pourraient même avoir atteint les 50%” écrivait l’analyste David Leonhardt dans le New York Times. 100% disait même un autre analyste,Joshua Shapiro, en se fondant sur les mêmes constatations: création insuffisante de nouveaux emplois, chômage à 9,1% culminant dans les états du Sud américain pour dépasser les 11%, moral des ménages en berne, paralysie du crédit, pour n’en citer que quelques unes. Bref, une reprise anémique et largement insuffisante pour permettre au grand malade de se remettre sur pieds. Dans un tel contexte, l’obstruction systématique des Républicains majoritaires au Congrès à la plupart des mesures de l’Administration Obama menacait le pays de paralysie face à la maladie contaminant tous les secteurs et tétanisant les consommateurs.
Six mois plus tard, la catastrophe n’a pas eu lieu. A l’instar de Steven Pearlstein qui proclamait le 3 mars dernier dans le Washington Post que “les signes de l’économie ont tourné dans la bonne direction”, un consensus se dégage désormais pour affirmer que les Etats-Unis ont renoué avec la croissance de manière solide. “Oui, écrit-il, cela a été péniblement long pour y arriver, tandis que nous continuons à affronter les vents contraires en provenance de l’Europe et du Moyen Orient ainsi que le fort reflux de l’irrigation de l’économie engendré par le fort ralentissement du stimulus fiscal (…). Mais le rétablissement a atteint un point où il apparait s’auto-alimenter, ce point magique où la croissance engendre plus de croissance, où l’emploi créé plus d’emplois, où la consommation attire plus de consommation.”
Optimisme démesuré après un pessimisme sans espoir? En réalité, non. La création d’emploi déjoue actuellement les pronostics les plus optimistes. Vendredi, le Bureau Américain des Statistiques de l’Emploi a publié le chiffre de 227,000 créations d’emplois pour février, contre 200,000 les mois précédents, une heureuse surprise qui embarque les secteurs importants des Affaires, des Services, de la Santé, du Tourisme, de l’Automobile, de l’industrie Minière, traduisez: qui concerne la plupart des états du pays au lieu de se concentrer uniquement sur les plus solides. Quant aux demandes d’allocations chômage, les voici au plus bas depuis 4 ans.
Et si tous les signaux ne sont pas au vert, ils sont passés du rouge à l’orange. Très durement affecté par la crise des subprimes et l’assèchement extrême du crédit pour les consommateurs, le marché de l’Immobilier semble être en mesure de sortir de sa phase d’assainissement grâce au déblocage des millions de dossiers qui vont permettre un règlement des litiges et la sortie d’une situation intenable pour les ménages concernés. Car, d’un côté, les propriétaires dépossédés vont enfin pouvoir éponger leurs dettes grâce à la mise sur le marché effective des biens qu’ils ont du abandonner à cet effet, et de ce fait, le crédit devrait être au rendez-vous des investisseurs qui jusque-là attendaient cette manne de “bonnes affaires”.
Le Produit Intérieur Brut (PIB) des Etats-Unis connait désormais une croissance de 3% sur un an et ne cesse de se consilder mois après mois. La confiance des consommateurs est au plus haut depuis 2008 et les salaires ont vu en une année une augmentation de 5% avant inflation. Du côté de Wall Street, le Dow Jones culmine sur les sommets d’il y a quatre ans, le Nasdaq renoue avec ses plus hauts scores depuis 10 ans, ce qui a pour double signification des profits records et le retour de la confiance des investisseurs. Les rentrées fiscales s’améliorent quant à elles de manière continue, excédant les attentes du gouvernement et les ménages poursuivent régulièrement la réduction de leur endettement, avec un taux d’épargne à 4,5%.
En résumé, les douze indicateurs-clés de l’économie de la première puissance mondiale sont presque tous passés au vert. Une situation quasi-miraculeuse dont rêveraient à l’heure actuelle la plupart des nations occidentales. Pourtant, l’heure n’est pas au réjouissances, et c’est là, sans doute, que la révolution dans les mentalités américaines depuis 5 ans dévoile toute son ampleur.
En d’autres temps, il n’y a pas si longtemps, le bon vieux slogan “America is Back” (“L’Amérique est de retour”) aurait déjà été martelé par le Président et relayé par son parti, notamment en cette année électorale. Et ses concurrents, croisant les tirs pour l’éjecter de la Maison Blanche auraient démontré point par point que sa politique économique n’a rien à voir dans ce “printemps américain” inespéré par la population durement éprouvée.
Mais pas cette fois. Bien au contraire. Car cette porte qui claque sur les certitudes apocalyptiques d’hier se referme brutalement et douloureusement sur l’aile droite des Républicains et l’aile gauche des Démocrates, les plaquant au sol, eux qui ont tant capitalisé durant les quatre années passées sur l’infernale récession dont les plus fins analystes affirmaient qu’elle durerait au moins dix années. Les uns et les autres n’ont cessé de dépeindre un paysage dantesque pour l’Amérique de demain, comme le résume ainsi Steven Pearlstein: “(…) le pays se balançaient au-dessus de l’abîme de la banqueroute, le commerce allait s’effondrer sous le poids d’une taxation excessive et des réglementations, et le plus gros de la classe moyenne était proche de la soupe populaire.”
Exaspérés par le travail du Congrès américain qui n’a jamais été aussi impopulaire dans l’Histoire du pays, les Américains ne sont plus prêts à entendre, notamment de la part des Républicains, que ce qui a été fait “aurait pu être mieux fait”. A l’opposé, des Démocrates se cramponnent à l’idée selon laquelle les Etats-Unis sont toujours piégés par la dépression, de peur que leurs critiques contre l’insuffisance et l’inadéquation des mesures prises par Obama ne se retournent contre eux.
C’est pourquoi les candidats en lice, y compris le Président Obama, doivent émerger rapidement de leur discours feutré sur l’enorme aiguillon qui transperce le ventre de la nation et menace de l’envoyer au tapis très rapidement. Leurs staffs suivent actuellement les déclarations des plus hautes compétences économiques du pays. Lesquels préviennent, à l’instar du Secrétaire au Trésor Timothy F. Geithner dans le New York Times ce week-end, du risque majeur que constituerait pour les Etats-Unis une politique ne mettant pas au centre de ses préoccupations la réduction du déficit.
Or, jusqu’à présent, c’est la disparition totale de l’esprit bipartisan qui a conduit au sur-place des Etats-Unis sur cette question et d’autres qui lui sont attenantes. Dans un éditorial rare de par son orientation et qui fit sensation au lendemain du dernier discours sur l’Etat de l’Union par Barack Obama devant l’ensemble du Congrès en janvier dernier, le Wall Street Journal s’en était pris violemment au Président, l’accusant de manquer de courage lorsqu’il avait regardé les congressistes républicains en parlant du problème du déficit des Etats-Unis. Il se demandait jusqu’où peut décemment aller un président digne de ce nom dans sa volonté de rechercher un consensus, et comment celui-ci pouvait passer sous sience les 3 trilliards de dollars engagés par son prédécesseur George W. Bush pour les opérations militaires à l’étranger et en grande majorité en Irak, un chiffre à comparer avec les 50 milliards de déficit laissés par Bill Clinton à sa sortie de la Maison Blanche. Ce que pointait alors plus précisément le journal pourtant peu enclin à soutenir les Démocrates, c’est bien le prix d’une folie dont plus personne aujourd’hui n’ose dire le nom et que l’on tente de cacher sous le tapis.
Il reste quelques mois à peine aux adversaires des deux camps pour dégager un minimum de consensus sur la question du déficit qui constitue une sorte de “super volcan” qui, à l’image de celui qui couve sur le Parc national de Yellowstone, peut exploser à tout moment et défigurer pour bien plus longtemps que ne l’a fait la grande récession de 2008 le visage un peu plus serein ces jours-ci de l’Amérique. Pour cela, Barack Obama et son futur adversaire, le toujours probable Mitt Romney, ainsi que leurs partis respectifs, vont devoir mener leur propre révolution en accéléré pour rattraper la confiance du peuple.
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