Plus de quatre mois avant l’échéance électorale de novembre aux Etats-Unis, personne ne se hasarderait à prédire le nom du vainqueur. Les derniers sondages donnent Obama et Romney au coude-à-coude, ce qui n’a pas de sens dans un pays fédéral où ce sont les résultats dans quelques Etats clefs qui décident du sort d’une élection.
Et pourtant, en cette mi-juin 2012, les plus fins analystes de la politique américaine, et ce quel que soit leur camp, considèrent que la tâche sera rude pour le président Obama. La même logique qui avait mené au retour des démocrates au pouvoir en 1992 après douze années de présidence républicaine -« It’s the economy, stupid » -semble devoir cette fois-ci jouer en faveur des républicains. La semaine dernière dans l’Etat décisif que constitue l’Ohio, Obama et Romney ont opposé leurs programmes économiques basés sur des conceptions antithétiques de la croissance. En termes européens, Obama parlait comme Hollande et Romney comme Draghi : le démocrate mettait en avant une vision néokeynésienne de la croissance, basée sur le rôle de l’Etat, le second à l’inverse avait de la croissance une vision beaucoup plus libérale au sens européen du terme. La référence à l’Europe n’est pas innocente. Romney accuse Obama d’être un « Européen », prêt à conduire l’Amérique à la ruine. Obama réplique en dénonçant la politique d’austérité proposée par Romney, qui mettrait à genoux l’Amérique.
Les Européens, selon une étude publiée récemment par l’institut de sondage Pew, rééliraient massivement Barack Obama s’ils devaient voter en novembre. Mais de manière objective, la situation économique de l’Europe joue aujourd’hui très clairement en faveur de Mitt Romney. « L’Europe va-t-elle faire perdre Obama ? » s’inquiétait devant moi, il y a quelques jours à New York, une électrice démocrate. Les chances que la situation économique de l’Europe s’améliore de manière spectaculaire d’ici à novembre sont faibles. A l’inverse, les risques que la situation ne s’aggrave sont bien réels. La crise européenne n’est pas seulement observée avec attention par les élites politiques américaines pour son impact sur le résultat des élections de novembre. Elle est désormais -et c’est un fait nouveau -considérée avec inquiétude par des classes moyennes qui regardent du côté du Vieux Continent et se demandent chaque jour quel sera l’impact de la crise économique en Europe, sur leurs retraites et plus globalement sur leurs niveaux de vie. Parce qu’il a fait campagne sur l’espoir il y a quatre ans, le président Obama apparaît aujourd’hui plus vulnérable encore. Quel que puisse être la qualité de son bilan, qui est loin d’être négligeable, de la réforme du système de santé à l’élimination de Ben Laden, il a suscité des attentes qui n’ont pas été satisfaites. Il n’est certainement pas responsable de la crise économique mondiale, mais le contraste entre la qualité épique de ses discours et la grise réalité du présent est tout simplement trop grand.
L’institution des « super PAC », en renforçant le poids de l’argent dans la politique américaine, joue également en faveur du Parti républicain. En 2008 la mobilisation des énergies s’était faite pour Obama, en 2012 elle risque de se faire contre lui. L’équilibre des volontés dans une Amérique plus divisée que jamais a-t-il basculé du côté des républicains qui, sentant la victoire possible, s’unissent désormais derrière Romney même si beaucoup continuent à le trouver un peu « mou » ?
A tous ces arguments en faveur de Romney s’en ajoute un autre. N’a-t-il pas une « carte secrète » dans le choix de son colistier à la vice-présidence : un hispanique, une femme (noire de surcroît comme Candie Rice, l’ex-conseillère pour la Sécurité, puis secrétaire d’Etat de George W. Bush) ?
Obama pourrait-il substituer à ce poste Hillary Clinton à Joe Biden pour créer un électrochoc positif dans le camp démocrate ? L’ancien Premier ministre britannique Harold Wilson avait l’habitude de dire qu’une semaine était une éternité en politique. Il en reste presque vingt jusqu’aux élections de novembre et Obama n’est certes pas Jimmy Carter. Il demeure un candidat au charisme exceptionnel. Pourtant sa réélection sera bien plus difficile que ne le pensent encore la plupart des Européens.
Dominique Moïsi est conseiller spécial à l’Ifri
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