Mitt Romney’s Offshore Accounts (Encore)

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Présentant Paul Ryan, qu’il a choisi pour figurer sur son “ticket” à l’élection présidentielle américaine de novembre, Mitt Romney a vilipendé les “bassesses” de son adversaire, Barack Obama, destinées à détourner l’électorat de l’essentiel : le rétablissement économique de l’Amérique. Ainsi parlait-il de la dernière attaque de l’équipe de campagne démocrate contre son passé chez Bain, cette société de capital-investissement que M. Romney a dirigée de 1984 à 1999. De fait, la charge du camp Obama avait été d’un goût plus que douteux, mais symptomatique de la tonalité déshonorante que cette campagne a commencé de prendre, par-delà les proclamations programmatiques des candidats.

Derrière, apparaissent évidemment les “super-PAC”, ces “comités d’action politique”, en réalité des collecteurs de fonds utilisant leur “liberté de parole” constitutionnelle pour véhiculer les arguments les plus infamants contre l’adversaire. De part et d’autre, les publicités que financent ces PAC n’hésitent effectivement devant aucune “bassesse”. En l’espèce, le camp Obama insinuait que M. Romney avait quasiment provoqué la mort d’une femme ! Dans son clip, un nommé Joe Soptic racontait avoir travaillé dans une entreprise sidérurgique lorsque Bain l’acquit et le licencia. Il perdit dès lors son assurance maladie, qui couvrait aussi son épouse. Ayant contracté un cancer, celle-ci, dénuée de couverture-santé, finit par en mourir. CQFD : sans M. Romney, madame Soptic vivrait toujours. Immédiatement, l’équipe républicaine hurlait au “mensonge”, l’épouse du veuf étant morte sept ans près le licenciement de son mari.

Libre à chacun de tirer la leçon morale et politique de ce drame et de son utilisation. Mais on parierait que l’ex-gestionnaire de fonds n’en a pas fini avec son passé. Car même si l’électeur américain est jugé par les “marketeurs” politiques plus sensible aux arguments émotionnels qu’aux exposés rationnels, point besoin de “basses” réclames pour poser des questions dérangeantes au candidat républicain sur le terrain auquel il se dérobe : la fiscalité qu’il a acquittée depuis son départ de Bain Capital et le patrimoine qu’il a préservé dans ses fonds aux îles Caïman et aux Bermudes.

Tout juste publié par Tax Justice Network (TJN), un réseau international d’économistes et de juristes, un rapport intitulé Une réévaluation du coût de l’offshore (The Price of Offshore Revisited), estime le montant des seuls actifs liquides déposés dans les paradis fiscaux par des fonds de “private equity” (capital investissement) – ceux-là mêmes qu’a gérés M. Romney, et où il continue de détenir des avoirs – entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars.

Selon le TNJ, qui a étudié 139 Etats à partir des données publiques de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de la Banque des règlements internationaux (Bank for International Settlements), ces fonds regroupent environ 10 millions de personnes. Vu sous un autre angle : 0,0014 % des humains détiennent 10 % à 15 % de la richesse liquide mondiale en des lieux si “paradisiaques” qu’ils leurs permettent de ne pas acquitter d’impôts sur ces sommes. Et Mitt Romney en fait partie. En revanche, il ne figure vraisemblablement pas dans le gotha des 100 000 méga-super-riches qui détiennent à eux seuls entre le tiers et la moitié des fonds déposés (10 000 milliards de dollars).

Avocat d’affaires, le rapporteur du TJN, James Henry, a été chef économiste du grand consultant McKinsey – où, coïncidence, Mitt Romney a fait ses premières armes. Comme directeur du conseil en stratégie d’entreprise Sag Harbor, il a eu pour clients des sociétés comme Merrill Lynch, UBS Warburg, ABB Amro, AT & T et IBM. Dans le passé, il a servi de consultant pour la Task Force on Caribbean Havens, le groupe de travail sur les paradis fiscaux caribéens, une organisation mise en place par le FBI et Scotland Yard. Et une cinquantaine de gouvernements ont eu recours à ses services contre le blanchiment. Est-ce cette activité qui l’a amené à se spécialiser dans l’utilisation volumineuse de certains sites offshore par les fonds de “private equity” ? Interrogé à la télévision, après la publication de son rapport, sur la candidature de Mitt Romney, M. Henry jugeait qu’il était impensable que le candidat républicain refuse de dévoiler sa relation fiscale avec les paradis offshore. Certes, disait-il, il existe aux Etats-Unis “de nombreux Mitt Romney” qui se soustraient à l’impôt par ce biais, mais s’il venait à être élu, il serait “le premier président dans l’histoire américaine dans ce cas”.

Et l’économiste de soulever un pan du voile qui le motive. L’enjeu, selon lui, dépasse la conjoncture électorale. Avec le candidat républicain, les Etats-Unis risquent de se retrouver “dans une situation où l’on a une représentation sans taxation”. Pour nombre d’Américains, la référence est immédiate, car M. Henry détourne un précédent historique célèbre. “Pas de taxation sans représentation” était le mot d’ordre des révolutionnaires qui, dans les années 1750-1760, lancèrent la révolte contre le pouvoir colonial britannique, refusant d’acquitter l’impôt dès lors qu’ils se considéraient comme non représentés politiquement.

Aujourd’hui, dénonce M. Henry, l’Amérique est menacée de voir l’inverse se produire : la plus haute représentation politique ne peut être occupée par un homme qui élude l’impôt grâce aux paradis fiscaux. Peut-on élire pour président un homme qui a fait de l’évasion fiscale son métier ? Eviter que cela advienne lui semble “vital pour la démocratie”.

cypel@lemonde.fr

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Sylvain Cypel

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