De la renommée, il ne lui manquait que la disgrâce. Totale, définitive. Sept fois vainqueur du Tour de France, Lance Armstrong chute au terme d’une épreuve épique qui a opposé pendant plusieurs années la justice américaine et l’organisation privée du cyclisme professionnel, accrochée à son champion comme à un butin. «Doper le coureur est aussi criminel, aussi sacrilège que de vouloir imiter Dieu ; c’est voler à Dieu le privilège de l’étincelle», écrivait dans ses Mythologies Roland Barthes, fasciné par l’épopée de la Grande Boucle et «ses fables impures». Personne n’était dupe. Comme si l’idéologie du dépassement de soi et de l’exemplarité n’avait été brandie que pour masquer la part du diable, le trouble, l’ambiguïté, le tragique d’un sport surhumain pris dans la quête infernale et infinie de l’exploit. Devant son poste de télévision ou agglutiné sur la route du Tour, le spectateur le sait bien, c’est aussi et surtout cela qu’il vient voir, loin des belles histoires racontées aux enfants. Cette mystification, Armstrong en fut le héraut, l’instigateur, l’artisan, l’ingénieur méticuleux et cynique jusqu’à la perfection. Mais la grande pelote des hypocrisies et des complicités sera longue à dévider, quand on sait, par exemple, que l’EPO fut développée dans une université publique italienne. Ce jour de la chute d’Armstrong restera dans l’histoire du sport comme l’une des grandes victoires de la puissance publique contre le dopage. Mais cette histoire-là s’écrit jusqu’ici sans les sportifs. Qui osera briser le mur du silence ? Parviendront-ils un jour à se réapproprier leur propre histoire ?
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