Un grand froid s’est abattu sur Denver, l’espace d’un débat. Entre le moment où Barack Obama et Mitt Romney sont arrivés à l’université de Denver et la clôture des arguments, la température extérieure est tombée de 10 degrés. Sur leurs podiums, les présentateurs télé ont enfilé doudounes et gants.
Un refroidissement similaire a gagné les démocrates. A l’unanimité, l’ex-gouverneur du Massachusetts Mitt Romney a été déclaré le grand vainqueur de la soirée. Par forfait pourrait-on dire : M. Obama, en retrait, n’a qu’à peine tenté de le déstabiliser. L’équipe du président a elle-même reconnu que le républicain avait effectué une meilleure performance, du moins “sur le style”. A cinq semaines du scrutin du 6 novembre, la candidature de M. Romney est relancée.
Barack Obama avait-il choisi de faire tomber la fièvre ? Depuis des semaines, la tension montait et les 4 000 journalistes accrédités attendaient l’empoignade. Le combat des chefs n’a pas eu lieu. Son équipe avait prévenu qu’il n’y aurait pas de “zinger”, ces petites phrases assassines qui entrent dans les anthologies politiques.
CONSIGNE : NE PAS PARAÎTRE AGRESSIFS
Dans un pays excédé par la polarisation, les deux candidats avaient la même consigne : ne pas paraître agressifs. D’entrée, ils ont échangé des civilités. Le président a salué son épouse – c’était leur 20e anniversaire de mariage – en lui promettant que l’an prochain, ils ne le célébreraient pas “devant 40 millions de personnes”. M. Romney a aimablement contribué en reconnaissant que la soirée avec lui n’avait rien de “romantique” en effet.
Sans perdre une seconde – la question portait sur l’emploi – il s’est lancé à la reconquête de l’Ohio, cette terre de cols bleus que M. Obama a ravie, selon les sondages, aux républicains. “J’étais à Dayton, Ohio, et une femme m’a attrapé par le bras et m’a dit : je suis sans emploi depuis mai. Pouvez-vous m’aider ?”
M. Obama s’est laissé ravir la compassion. Il est apparu un peu technocrate, un peu voûté, parfois, essayant d’emprunter quelques formules à Bill Clinton pour expliquer qu’on ne peut guère proposer 5 000 milliards de dollars (3 860 milliards d’euros) de réductions d’impôt sans augmenter les recettes mais sans le même génie pédagogique. Il est “rouillé”, ont expliqué les stratèges démocrates, les présidents n’ont plus l’habitude de débattre, alors que Mitt Romney a, lui, été endurci par la vingtaine de confrontations lors des primaires.
Ceux qui ont encore le souvenir de la campagne perdue de 2004 ont incriminé John Kerry, le sénateur du Massachusetts, qui a servi de partenaire à Barack Obama dans la répétition des débats.
S’ADRESSER DIRECTEMENT AUX MILLIONS DE TÉLÉSPECTATEURS
Les démocrates ont été surpris que leur chef de file n’ait même pas utilisé la vidéo où M. Romney affirme que les 47 % d’Américains qui ne paient pas d’impôt ont une mentalité d’assistés et ne risquent donc pas de voter pour lui. Le nom de Bain Capital n’a pas été prononcé et la feuille d’impôts de son ex-PDG ignorée. Barack Obama avait décidé de s’adresser directement aux millions de téléspectateurs.
Plusieurs fois, il a regardé directement la caméra, expliquant que la privatisation partielle du système d’assurance-maladie des personnes âgées les place “à la merci des compagnies d’assurance”. Ou incrédule, lorsque Mitt Romney a décliné de préciser où exactement il va réduire les dépenses. “Les Américains vont finir par se demander : le gouverneur Romney garde-t-il ses idées secrètes, parce qu’elles sont si bonnes ? Parce qu’elles aideraient les classes moyennes ?”
Mitt Romney avait beaucoup répété. Chacune de ses réponses avait été travaillée pour inclure des exemples de ces Américains ordinaires – des femmes de préférence – dont on l’accuse de ne pas se soucier. Il a attaqué sur les emplois verts, et le choix du président de consacrer 90 milliards du plan de relance aux énergies renouvelables. Il a cité Solyndra, l’entreprise de panneaux solaires qui a bénéficié de la garantie de l’Etat avant de faire faillite, mais M. Obama, là encore, a préféré esquiver. Le républicain y est revenu avec un argument plus porteur : “Avec cet argent, vous auriez pu recruter deux millions de profs.”
RASSURER LES RETRAITÉS
Sur le fond, M. Romney s’est livré à un recentrage spectaculaire. “La réglementation, c’est essentiel”, a-t-il proclamé, bien qu’il entende abroger la loi Dodd-Frank. Il a affirmé qu’il n’avait aucun plan de réductions d’impôts de 5 000 milliards de dollars. A plusieurs reprises, il s’est déclaré en accord avec le président, notamment pour affirmer que l’Etat fédéral a un rôle à jouer dans l’éducation. Secteur dont il n’a pas du tout l’intention de réduire le budget – contrairement à ce qu’il indiquait au printemps. Il s’est employé à rassurer les retraités. “Si vous avez 60 ans et plus, vous n’avez pas besoin d’écouter”, a-t-il lancé. “Mais si vous avez 54 ou 55 ans, vous pourriez en avoir envie”, a grincé M. Obama.
Mitt Romney a assuré qu’avec son plan santé, les malades victimes de conditions préexistantes seraient quand même assurés tout comme dans le plan “Obamacare” – ce qui a été déclaré faux par les fact-checkers. Il a aussi assuré qu’il aimait les profs, les énergies renouvelables et même la chaîne publique PBS, quoiqu’il la priverait immédiatement de subventions publiques. Il s’est enfin présenté comme le champion du consensus droite-gauche, arguant de ce que 87 % des élus de son Etat du Massachusetts étaient démocrates. “Il nous faut un président qui rassemble”, s’est-il exclamé.
Ce revirement a fait quelques sceptiques. “Depuis quand n’a-t-on pas entendu un républicain plaider pour les réglementations ?”, s’est étonné le chroniqueur conservateur David Brooks.
Mitt Romney a démontré sa maîtrise des chiffres et des dossiers budgétaires. Il a montré qu’il est capable de cogner. Mais il souffre selon les sondages d’un déficit de “confiance”. Il lui faudra probablement plus qu’un débat pour convaincre les Américains de la sincérité de son recentrage. Le prochain débat est prévu pour le 11 octobre.
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