Obama : un pragmatique sans doctrine
Les Américains ont souvent pour habitude d’identifier chacun de leurs présidents à une doctrine qui porterait son nom. On parle donc de doctrine Obama. La réalité est bien différente. Obama est d’abord et avant tout un pragmatique qui ne veut en aucune manière se lier les mains. Et le bilan de sa politique étrangère l’atteste éloquemment. Prenons l’exemple de la guerre en Irak. Y mettre un terme et s’en retirer étaient l’objectif d’Obama. Formellement, il y est clairement parvenu. Mais à quel prix ? Le régime irakien ressemble de plus en plus à une dictature chiite soutenue par l’Iran. Le cas de l’Afghanistan est en apparence très différent puisque dans ce pays Obama a clairement assumé le choix de la guerre. Il y a certes obtenu une victoire symbolique forte en éliminant Ben Laden et en plaçant les talibans sur la défensive. Mais, malgré l’ampleur de l’engagement militaire américain dans ce pays, les Etats-Unis commenceront à se retirer après 2014 sans avoir en vue la moindre solution durable à la crise politique dans ce pays. Le régime de Kaboul est l’un des plus corrompus de la planète, grâce notamment à l’aide américaine. Quant à la prétendue relève militaire des Américains par les Afghans, elle s’inscrit plus dans une optique de maquillage d’un échec politique que d’une réalité tangible au regard du haut degré d’infiltration de cette armée par les talibans. L’échec américain en Afghanistan est donc colossal. Mais la capacité d’absorption des échecs demeure une des forces de la puissance américaine. Mais c’est là aussi la marque d’une puissance que de faire passer un échec patent pour un retrait de convenance. Plus préoccupant encore est l’effondrement de la stratégie pakistanaise d’Obama. Pour le Pakistan, l’alliance avec les Etats-Unis n’a véritablement d’intérêt stratégique que si elle est de nature à lui permettre de modifier à son avantage le rapport de force avec Delhi. Or cela n’est toujours pas le cas. L’administration Obama n’a pas réussi à faire avancer le dialogue entre Delhi et Islamabad sur le Cachemire, pomme de discorde entre les deux pays. Du coup, le Pakistan ne veut en aucune façon renoncer à pouvoir manipuler les talibans et ses alliés pour affaiblir le régime de Kaboul, jugé trop proche de Delhi.
En réalité, sur tous les enjeux stratégiques pour la sécurité américaine dont il a hérité : Iran, Corée du Nord, Irak, Afghanistan, Pakistan, conflit israélo-palestinien, Obama n’a à peu près obtenu aucun résultat politique significatif, car le pouvoir de contrainte des Etats-Unis s’est érodé de manière structurelle. De ce point de vue, on peut très clairement conclure que ses résultats sont modestes. Il a pourtant eu pour mérite, à ce jour, de freiner Israël dans sa volonté de bombarder l’Iran, car tout le monde sait qu’un tel choix serait désastreux pour toute la région. Obama juge que l’intensification des sanctions peut conduire Téhéran à différer son programme nucléaire militaire, même si, historiquement, il n’y a pratiquement aucun exemple de pays ayant renoncé sous la contrainte à arrêter son programme nucléaire militaire.
En réalité, la seule vraie grande percée d’Obama en matière de politique étrangère, et elle n’est pas négligeable, aura été de sortir les Etats-Unis de l’idéologie du 11 Septembre dans laquelle la précédente administration les avait délibérément maintenus sans baisser la garde militaire des Etats-Unis, ce qui n’était pas gagné d’avance. Ses échecs indiscutables au Proche-Orient, il les a compensés par une préparation des Etats-Unis à une stratégie de « containment » de Pékin, particulièrement manifeste depuis 2010. Face à une Chine désireuse de dénier aux Etats-Unis le maintien d’un pouvoir d’arbitrage régional entre elle et ses voisins (« area denial strategy »), les Etats-Unis réagissent, soit en renforçant leurs relations avec l’Asean, le Japon et la Corée, soit en freinant une intégration économique asiatique autour de Pékin. D’où la version américaine du TPP (Trans-Pacific Partnership) proposée par Obama aux pays asiatiques à la fin de 2011. Dans les faits, il s’agit d’exclure la Chine en plaçant la barre très haut sur le plan réglementaire, ce que dans le jargon commercial mondial on appelle les « beyond borders issues », c’est-à-dire l’ensemble des obstacles réglementaires qui gênent la pénétration des importations. Les Américains veulent plus de réciprocité avec la Chine, ce qui est aussi la position des Européens. Ils ont d’ailleurs enterré les négociations multilatérales à l’OMC. Ils estiment que seul un bilatéralisme agressif pourra leur permettre d’ouvrir les marchés des émergents. Les Européens pensent la même chose. Mais, comme d’habitude, ils n’assument pas ce choix.
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