Larry Hagman ("J.R."): The Bad Guy We Love to Hate

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Larry Hagman – JR, le bon méchant

Larry Hagman, qui est décédé vendredi d’un cancer de la gorge à l’âge de 81 ans, a rendu un fier service à la télévision. Dans le rôle de JR (John Ross), le fils aîné de la famille Ewing de Dallas, il a donné un visage à une personnalité détestable, capable de cristalliser tous nos ressentiments voire toute notre haine. Il a incarné ce personnage dont on pouvait accrocher au mur le portait pour le cribler de fléchettes ou des balles, pour l’injurier tout à loisir. JR n’était pas l’incarnation du mal, il était simplement un condensé de ce qu’il y a de mauvais et détestable en nous. Une sorte de Uriah Heep moderne. Son personnage n’avait pas grand-chose à envier à celui de Charles Dickens.

Mais là où l’ennemi de David Copperfield nous inspire de la répulsion, l’héritier de South Fork provoque attirance et fascination. Quelque 90 millions de personnes, soit environ 80% des foyers américains regardèrent en 1980 le premier épisode de la saison 3 de la série de CBS pour avoir la réponse à cette question: “qui a tiré sur JR ?” Car au fond, John Ross est un bon méchant, celui dont on ne pourrait pas se passer, celui qui porte la fiction sur ses épaules, celui dont le tempérament est en constante opposition avec celui de son frère Bobby, le gentil. Il y a quelques années Patrick Duffy reconnaissait qu’au long de sa carrière il avait sans doute trop souvent interprété des rôles de “bons”.

Hagman est passé à la postérité pour ce rôle. Il a bien fait quelques compositions avant comme I Dream of Jeannie et quelques compositions après, y compris une série dérivée de Dallas située de nos jours et dans laquelle il apparaissait dans son ancien rôle, tout comme Patrick Duffy. Mais JR restera le rôle d’une vie, encore plus que Columbo ou John Steed car Peter Falk et Patrick Mcnee ont connu une carrière bien plus étoffée.

Avec le recul du temps, on peut considérer que Dallas constitua une transformation inédite en matière de narration et d’écriture pour les séries TV. Ce night-time soap apparu en 1978 s’impose immédiatement par son caractère feuilletonnant dès sa deuxième saison qui constituait un véritable risque pour la chaîne: le pari était de miser sur la fidélité des spectateurs et sur la capacité à se souvenir à une semaine de distance des différents événements intervenus dans l’épisode précédent.

Pour garantir cette fidélité, les scénaristes utilisèrent les fins à suspense (cliffhanger), l’épisode se concluant sur un rebondissement inattendu qui laisse le spectateur impatient de connaître la suite de l’histoire. Pour que cet artifice fonctionne, il fallait évidemment des personnages simplistes voire caricaturaux, facilement identifiables et classables par le public et surtout capables de cristalliser des sentiments, comme la pitié, la sympathie, la compassion, la colère ou l’antipathie. C’est là que JR va prendre toute sa mesure.

Mais pour qu’il attire durablement le public, il fallait le placer dans un monde qui lui convienne: les intrigues de Dallas s’articulent autour de trois grands thèmes, le sexe, l’argent et le pouvoir, pour savoir qui va régner sur la famille. Ces trois thèmes sont particulièrement propices aux intrigues et donc au développement de la personnalité de John Ross. A noter que Hagman avait le physique de l’emploi. Un regard bleu inquisiteur et dur, un sourire hésitant entre le mépris de son interlocuteur et la confiance en soi. Une prestance qui exsudait la satisfaction.

Le plus étonnant est que le personnage, tel qu’il fut conçu fonctionna aux Etats-Unis, mais également dans d’autres pays, et pas nécessairement pour les mêmes raisons. S’il était haï pour son absence de morale et son caractère manipulateur parmi le public de CBS, c’est en tant que caricature de l’Amérique qu’il fut reçu en France. Il était le symbole de l’avidité financière, l’archétype de l’héritier sans éducation, le parangon de l’homme d’affaires sans scrupule, etc.

Il y avait alors entre la société française et la société américaine un fossé culturel. Chez nous, la première question était de savoir quelles études on avait faites, quel parcours intellectuel on avait suivi afin de s’intégrer dans la société. Aux Etats-Unis, la seule question qui valait était le nombre de millions de dollars qu’on se faisait en une année. Cette fascination pour l’argent résonnait encore chez nous comme une forme de faiblesse morale, comme la preuve d’un manque de sociabilité, voire de refus de s’intégrer en étant prêt à tout pour faire fortune. Les choses ont changé depuis.

A trente ans de distance, on pourrait se dire que Le Numéro 6 ou Columbo nous manquent, qu’ils appartiennent aux “madeleines” de notre enfance. JR ? Non. On se souvient lui, évidemment, car comment l’oublier ? Mais on n’a guère envie de le revoir, comme une de ces connaissances désagréables qui appartient à notre passé.

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