Au-delà d’un combat de coqs franco-français, que se joue-t-il dans la guerre suicidaire entre les chefs de l’UMP ? Pour échapper à la lassitude que procure ce spectacle, il est tentant de prendre du recul, d’aller chercher hors de l’Hexagone des angles d’analyse nouveaux, des éclairages inédits.
Un continent est familier de ce type de situation où les deux concurrents d’une élection se proclament simultanément vainqueurs et refusent obstinément de céder, jusqu’à l’autodestruction : l’Afrique.
Logistique électorale monopolisée par le président sortant, incapacité de proclamer des résultats crédibles, électeurs pris en otage d’un combat d’ego : les tares de certains scrutins africains sont souvent commentées avec condescendance dans l’ancienne puissance impériale qu’est la France. Ces Africains, susurre-t-on, ne sont décidément pas mûrs pour la démocratie.
Mais c’est sur un autre continent, aux Etats-Unis, que les raisons de fond du grand déchirement de l’UMP se trouvent éclairées par la défaite de Mitt Romney. La droite française et les républicains américains paraissent souffrir de la même incapacité à renouveler leur discours sur le rôle de l’Etat, les grands sujets de société, la place des immigrés, afin de rassembler une majorité d’électeurs.
A l’origine de la rivalité Copé-Fillon se trouve l’échec de la stratégie de Nicolas Sarkozy. La crise financière l’ayant amené à abandonner la rhétorique ultralibérale sur laquelle il avait été élu en 2007, l’ancien président français avait enclenché les sirènes du populisme identitaire.
Objectif : profiter du repli et des tentations xénophobes suscités par la crise, pour capter les électeurs effrayés par l’Europe et la mondialisation, hostiles aux immigrés et à la libéralisation des mœurs. On sait ce qu’il advint de cette “ligne Buisson” censée siphonner l’électorat de Marine Le Pen.
M. Sarkozy, ayant dérivé si loin à droite avec la campagne sur l’identité nationale, la tentative de remettre en cause les naturalisations et les surenchères anti-islam, s’est révélé incapable de mobiliser, entre les deux tours, l’électorat modéré indispensable à sa réélection.
A l’échelle du pays-continent que sont les Etats-Unis, l’échec du candidat républicain, le 6 novembre, résulte d’un scénario aux analogies étonnantes. Le modéré Mitt Romney a donné tant de gages aux extrémistes du Tea Party pour obtenir l’investiture républicaine – promesse d’abroger la loi Obama sur l’assurance-santé qualifiée de “socialiste”, refus d’augmenter les impôts des riches et de régulariser les sans-papiers, ambiguïté sur le droit à l’avortement –, que son recentrage brutal pendant les deux mois précédant le scrutin n’a pas assez largement convaincu, face à Barack Obama pourtant handicapé par le haut niveau de chômage.
Des deux côtés de l’Atlantique, les deux candidats conservateurs ont tenté en vain de se poser en protecteurs non seulement des classes favorisées, mais aussi des petites gens bousculés par la désindustrialisation, la menace de la Chine, des électeurs prompts à rendre les immigrés responsables du chômage et hantés par un sentiment de déclin.
Dans les deux cas, la majorité des électeurs a préféré le candidat le moins réticent à défendre les filets de sécurité étatiques – sauvetage de General Motors, loi sur la santé pour M. Obama, volontarisme des pouvoirs publics pour François Hollande – face aux soubresauts de l’économie.
Aux Etats-Unis, une coalition de fait entre les électorats jeune, féminin, noir et latino a assuré la réélection du président démocrate. En France, la mobilisation des 18-24 ans et des électeurs musulmans – selon des sondages, respectivement 57 % et 86 % ont voté pour M.Hollande au second tour – a contribué à la victoire du candidat socialiste.
“Je pense qu’il y a beaucoup à apprendre de la réélection de Barack Obama mais aussi de la défaite de Mitt Romney, a constaté le filloniste François Baroin dans Le Figaro. Le Parti républicain a réduit sa base électorale en déplaçant son centre de gravité sur sa droite. Ce qui leur est arrivé nous est arrivé aussi et je ne souhaite pas que l’UMP, grand parti de gouvernement, perde de vue la logique de rassemblement qu’avait souhaitée Jacques Chirac à sa création.”
Comment sortir de ce piège qui enserre les conservateurs, entre un anti-étatisme affaibli par les dérives de la finance, la défense des privilégiés qui aliène les éclopés de la crise, et une xénophobie rampante – anti-Latinos aux Etats-Unis, anti-musulmane en France – que rejettent notamment les électeurs issus de l’immigration ?
Tels sont les dilemmes qui alimentent tant la guéguerre Copé-Fillon – lancée par l’histoire inventée du “pain au chocolat” – que la crise du Parti républicain aux Etats-Unis, provoquée par l’échec des contorsions électorales de M. Romney.
Au-delà du bruit et de la fureur suscités par une bagarre parisienne d’ego, le malaise parallèle des droites américaine et française marque probablement la fin d’un cycle politique mondial ouvert par la “révolution conservatrice” de Ronald Reagan dans les années 1980, dont Nicolas Sarkozy a été le dernier avatar français.
De part et d’autre de l’Atlantique, la guerre à l’impôt, le moins d’Etat, la remise en cause des acquis sociaux, le nationalisme, le procès fait au libéralisme post-1968 en matière de mœurs, ne suffisent plus nécessairement à unir une majorité. Analogues par leurs origines, les crises d’identité que traversent les deux droites, française et américaine, supposent de profonds aggiornamentos.
bernard@lemonde.fr
Philippe Bernard (Service International)
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