Le P-DG de Titan, qui a envoyé une lettre injurieuse pour les ouvriers français à Arnaud Montebourg, n’en est pas à sa première provocation. Portrait.
Maurice M. Taylor Jr., P-DG haut en couleur de Titan International. © HO / TITAN INTERNATIONAL, INC. / AFP
Sur le site de Titan, on est accueilli par le grognement féroce d’un ours. Certainement un hommage au P-DG de l’entreprise, Maurice Taylor, qui a pour surnom “le Grizz”. En cause : ses méthodes de management brutales et son caractère teigneux. Quand son groupe est entré en Bourse en 1993, il a reçu une plaque sur laquelle était inscrit : “En Amérique du Nord, il n’y a pas de prédateur connu pour le grizzly.” Avant, il avait, dit-il, un autre surnom : “Attila” ! Bref, “Morry” Taylor, 68 ans, n’a rien d’un tendre. Ni d’un diplomate. Arnaud Montebourg l’a appris à ses dépens. Pour justifier son refus de reprendre le site Goodyear d’Amiens-Nord, Taylor s’en est pris, dans une lettre au ministre, aux “soi-disant ouvriers qui touchent des salaires élevés, mais ne travaillent que trois heures. C’est pour ça qu’en France, bientôt, tout le monde sera assis dans des cafés à boire du vin rouge, mais on ne gagnera plus d’argent”, conclut-il.
Ce grand costaud a passé sa vie dans le Midwest. Né à Detroit, il a grandi à Ellsworth, une petite commune du Michigan. Son père avait une usine sidérurgique qui produisait des munitions pour les tanks de l’armée. Taylor a commencé des études d’ingénieur à l’université Michigan Tech qu’il n’a pas achevées, puis il est embauché chez General Motors. Il raconte dans un article du Christian Science Monitor qu’il en est parti au bout de six mois, parce qu’il “s’ennuyait” et que l’entreprise était “plombée”. Il travaille alors dans l’usine familiale qui fait faillite en 1975. Un audit montre que l’entreprise a surfacturé les contrats au ministère de la Défense, et le père de Taylor sera condamné pour fraude. L’usine laisse également un site terriblement pollué que la famille refuse de nettoyer, et ce sera finalement au contribuable de payer l’assainissement. Le décor est planté.
“Je me moque que les gens m’aiment”
Morry Taylor devient vendeur de roues et rachète, en 1983, avec un autre industriel une usine de roues mal en point cédée par Firestone, dans l’Illinois. Une opération brillante. Il la redresse en coupant dans le management et en virant les ouvriers syndiqués. L’entreprise n’a, depuis, cessé de grandir grâce au rachat d’usines de pneumatiques et de roues pour machines agricoles et véhicules de chantier dans différents pays. Titan International emploie aujourd’hui 3 600 personnes, et son chiffre d’affaires avoisine les 2 milliards de dollars. Avec des méthodes qui ne font pas dans la dentelle. Taylor a tout fait pour bloquer l’accès de ses usines aux inspecteurs du travail et a eu de violents affrontements avec les syndicats. En 1998, les employés des usines de l’Iowa et du Mississippi se mettent en grève. Ils protestent contre des horaires de travail qu’ils jugent trop durs. Taylor suggère qu’ils aillent trouver du boulot à Cuba, où ils se sentiraient mieux avec “les gauchistes, socialistes et communistes”, et les remplace par des employés non syndiqués.
En 1996, le patron devenu millionnaire décide de se présenter aux primaires républicaines. Il est inconnu du grand public et n’a aucune expérience politique. Autant dire aucune chance. Mais Morry Taylor ne doute de rien. “Avec Titan, vous ne pouvez pas vous tromper”, clame son site internet. Il bâtit sa campagne sur son expérience de self-made-man, de “patriote économique” qui va créer des emplois et gérer efficacement le pays. Son programme : virer un tiers des fonctionnaires les mieux payés pour équilibrer le budget, supprimer la retraite des élus, geler les retraites publiques, démanteler le fisc… Le ministère des Affaires étrangères ? “Qu’on le dynamite !” clame-t-il dans une interview au New York Times. Les forces de l’ordre ? “Qu’on rétablisse les coups de fouet !” “Je suis rentre-dedans, parce que je veux que le boulot soit fait”, lâche-t-il. “Les hommes politiques, ils veulent tous se faire aimer. Moi, je me moque que les gens m’aiment.” À sa décharge, il garde son franc-parler, même devant les électeurs. Il ose dire que c’est aux femmes, et pas à l’État, de décider si elles veulent avorter. Sacrilège pour les conservateurs. Il distribue lors des meetings électoraux 25 000 dollars en organisant des loteries. Au final, il se retire de la course. Il a dépensé 6,5 millions de sa fortune, mais n’a finalement remporté que 1 % des voix.
Nombreuses têtes de Turc
Arnaud Montebourg peut se consoler. Taylor a toutes sortes de têtes de Turc. Il a co-écrit un livre intitulé “Tuer tous les avocats et autres moyens de réparer le gouvernement”. En 2010, il achète une page entière de journal pour donner des conseils à Barack Obama et aux démocrates, qu’il déteste. Pour réduire le déficit, il faut, dit-il, supprimer les congés maladie, le ministère de l’Éducation, le ministère des Affaires étrangères, car on n’a pas besoin d’ambassadeurs, baisser les impôts sur les entreprises et établir des tarifs protectionnistes, et enfin que le Congrès ne siège qu’une fois par mois, ce qui obligerait les élus à passer plus de temps dans leur circonscription et “leur ouvrirait un peu l’esprit”.
En revanche, il a abandonné sa croisade pour acheter du pneu “Made in America”. En 1996, dans une de ses pubs de campagne, il disait : “Mettre un pneu Michelin sur un tracteur américain, c’est comme mettre un béret sur la tête d’un cow-boy. Mettre un pneu japonais Firestone sur un tracteur américain, c’est comme faire porter un kimono à un agriculteur.” Et pour cause : il est en train de négocier le rachat d’une entreprise de roues en Inde, qui compte exporter vers l’Amérique.
On n’a pas fini d’entendre parler de Maurice Taylor. Il avait prévenu que si le président Barack Obama gagnait, il se représenterait à l’élection présidentielle de 2016, “parce que quelqu’un va devoir nettoyer cette pétaudière et ça va être une sacrée pétaudière dans quatre ans s’il est au pouvoir”.
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