Un personnage hors du commun, une époque sans lendemain, un metteur en scène aérien… Le voilà donc, ce Gatsby tant attendu, ce gros morceau hollywoodien de l’année, espéré par les fans de Luhrmann avec la larme à l’oeil et par ses détracteurs avec toujours autant de scepticisme. Le style Luhrmann, c’est une quintessence de cinéma pour les uns et une vaste escroquerie clipesque pour les autres.
Mais, contrairement à ce que pourraient redouter ces derniers, Gatsby marque un net tournant dans la carrière du réalisateur. Car, pour la première fois, il pénètre les tréfonds de l’âme humaine dans un film qui balance parfaitement entre la légèreté d’une bulle de champagne et la lourdeur de la solitude. S’enivrer oui, mais pour mieux oublier. Idéaliser oui, mais pour mieux éviter de se regarder en face. En cela, Gatsby est un film mature, carré et, finalement, dépressif.
Après Australia, faille spatio-temporelle dans la filmo du génie australien, Luhrmann revient à ses fondamentaux, cette patte visuelle totalement délirante et speedée. Mais il y revient avec dix ans de plus et Fitzgerald en passeur. D’où un film qui passe radicalement de la légèreté au drame, une quête absolue et désespérée du bonheur sur fond d’années folles dont on comprend qu’elles se mentent déjà à elles-mêmes, comme le font d’ailleurs les protagonistes du film. En revanche, Luhrmann réussit, pour la première fois, à explorer son côté sombre, à ne pas toujours se réfugier derrière ses tics brillants de mise en scène.
La crise est ainsi omniprésente dans le faste de Gatsby, la pénombre arrive derrière la lumière quand, petit à petit, un no man’s land de pauvreté s’étend aux abords de la Grosse Pomme, prêt à la ronger un jour ou l’autre. Si la musique était pop et légère dans Moulin Rouge !, elle devient ici hip-hop et jazz, plus rugueuse, plus agressive. La crise est passée par ici, elle repassera par là. Gatsby le magnifique est un prodige visuel, une véritable leçon de cinéma, de reconstitution historique, de travail infini sur les décors et les costumes. Dans ce sens, le film est ébouriffant, parfois un peu trop peut-être. Mais Luhrmann a la grande intelligence, cette fois, de ne jamais laisser sa palette graphique prendre le pas sur l’humain. Il tisse ainsi la toile qui, peu à peu, contraint ses personnages à la faute, au renoncement, à la médiocrité. L’affrontement du quintette amoureux dans une scène dantesque et théâtrale est le clou du spectacle, porté par des acteurs magnifiques. À commencer par DiCaprio toujours aussi puissant mais aussi par Joel Edgerton, la découverte d’un drame foisonnant, élégant et souvent spectaculaire. Et si, finalement, Gatsby était en fait le premier film art déco?
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