The Fed vs. the ECB

<--

Avec l’amélioration lente, mais régulière, des indicateurs de l’économie aux Etats-Unis – emploi, immobilier, consommation… – le temps est-il venu, pour le Réserve fédérale (Fed, banque centrale américaine) de mettre fin son injection systématique de liquidités (85 milliards de dollars par mois actuellement) pouraider la reprise à s’affermir ?

Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent en ce sens aux Etats-Unis, y compris au sein de la Fed, à en juger par les derniers débats de son instance supérieure, le Comité de politique monétaire (FOMC).

Mais à l’issue de sa réunion ordinaire des mardi et mercredi 21 et 22 mai, son président, Ben Bernanke, a indiqué que cette politique serait maintenue. Portant le nom barbare d'”assouplissement quantitatif” (“quantitative easing”), celle-ci a été mise en œuvre quelques mois après l’accession de Barack Obama à la présidence.

Constatant l’insuffisance de la réduction a minima de ses taux directeurs (rabaissés entre 0 et 0,25 % dès décembre 2008, juste après l’effondrement financier à Wall Street), la Fed avait lancé, dès novembre 2009, un vaste plan d’injections de liquidités dans l’espoir de relancer la consommation.

Entre ses rachats massifs de titres de dette “pourris” et les “twists” – ventes de bons du trésor arrivant à échéance rapide pour racheter des obligations de long terme – la Fed aura injecté 3 000 milliards de dollars dans l’économie américaine en trois plans successifs.

“MEILLEURE VISION DANS 3 À 4 MOIS”

Mercredi, Ben Bernanke, son président, a estimé “prématuré” d’abandonner cette politique : cela “risquerait de ralentir ou même d’arrêter la reprise”, un risque qu’il juge supérieur à celui de l’inflation, brandi par ses adversaires.

Son motif principal : bien que s’améliorant, le marché de l’emploi reste “faible”, dit-il. La Fed a fixé un taux de chômage tombé à 6,5 % pour changer de cap, or il se situe encore à 7,5 %.

D’ailleurs, s’il envisage de ralentir le montant mensuel de fonds injectés si la croissance s’améliore, il n’écarte pas non plus… de l’augmenter si son rythme actuel mou (2,5 %) se rétractait.

Car les perspectives générales restent inquiétantes, selon M. Bernanke, au vu des incertitudes internationales – européennes en particulier, a-t-il noté – mais aussi des conséquences du récent “séquestre” budgétaire (les coupes uniformes dans les dépenses publiques), et des hausses d’impôts intervenues (en particulier sur les charges sociales payées par les employeurs et les salariés), dont il a estimé qu’ensemble, elles pourraient coûter un point-et-demi de croissance aux Etats-Unis.

Bref, la Fed estime qu’il est trop tôt pour cesser de faire tourner la planche à billets. “Dans 3 à 4 mois, nous aurons une meilleure vision de l’état de santé de notre économie”, a pronostiqué William Dudley, président de la Fed de New York, la banque régionale qui supervise Wall Street.

RISQUE D’UNE STAGNATION LONGUE “À LA JAPONAISE”

La référence à l’Europe dans la bouche de M. Bernanke, mercredi, n’était pas fortuite. La veille, en visite à l’Institut Goethe de Francfort, James Bullard, président de la Réserve fédérale de Saint Louis, avait exhorté les Européens à mettre eux aussi en place une politique d’injection massive de liquidités proche de celle menée par la Fed.

Si l’Europe ne se donne pas les moyens d’une relance, avait-il estimé, elle court le risque d’une stagnation longue “à la japonaise (…) : et quand vous êtes coincés dedans, il devient très difficile d’en sortir”.

Le banquier américain avait récusé l’idée que la structure juridique de la Banque centrale européenne l’empêche d’agir en ce sens. Si la BCE le voulait, elle pourrait acquérir des obligations émises par les 17 Etats-membres de l’eurogroupe au prorata de leur taille, a-t-il assuré.

M. Bullard a indiqué parler en son nom personnel, mais il exprimait un point de vue en vigueur depuis longtemps à Washington, selon lequel l’Europe est insuffisamment “agressive” face aux menaces économiques.

En septembre 2011, lors d’une rencontre en Pologne, une polémique acerbe avait opposé le secrétaire américain au trésor, Tim Geithner, au ministre allemand desfinances, Wolfgang Schaüble, sur ce sujet. “Vous n’avez qu’à vous décider”, avait lancé le premier au second ; lequel lui avait répondu sans aménité de se mêler de ses affaires, dès lors que les “nos fondamentaux [de la zone euro] sont meilleurs que ceux des Etats-Unis”.

De ce point de vue, les temps ont changé.

About this publication