La révélation de l’existence du système PRISM, qui permet aux services de renseignement américain d’avoir accès aux données des géants du net, a curieusement suscité peu de réactions. Fatalisme ou simple indifférence?
C’était au lendemain de l’attentat du 11 septembre 2001. Le directeur du Monde d’alors, Jean-Marie Colombani, titrait son éditorial « Nous sommes tous des Américains ». La sidération provoquée par l’effondrement des deux tours du World Trade Center avait brisé les digues de la pensée (in)correcte, les vieilles hiérarchies qui façonnent les idéologiques. Celles qui contiennent l’émotion même au plus haut niveau, celles qui partagent les continents en raisons contradictoires, celles enfin qui obligent à accepter le monde autrement qu’on aimerait qu’il soit.
L’Amérique, le phare du monde, celui-là même dont on croit plus ou moins consciemment qu’il nous sauvera en dernier ressort des pires périls, était frappé en son cœur. La planète avait les larmes à l’œil et la peur au ventre.
Un monde numerique qui appartient à l’Amérique
Depuis, les bombes ont volé dans le ciel irakien, les drones arrosé les montagnes afghanes, avec le succès que l’on connaît. La dette américaine a failli plonger la finance dans le chaos il y moins de dix huit mois. Et puis, et puis… Cette Amérique que l’on voyait un peu brinquebalante s’en sort plutôt pas mal. Elle est haïe d’une bonne partie du globe, sa diplomatie végète, mais l’Amérique est là. Forte d’une nouvelle et immense puissance qu’elle a construite en moins de quinze ans : elle a inventé le monde numérique et ce monde numérique lui appartient.
Ses grands groupes le connaissent sur le bout de leurs microprocesseurs, savent comment et vers où le conduire sans aucune limitation de feu. Rien à voir avec les majors pétrolières qui ont, elles aussi, fait la pluie et le beau temps en Amérique. On était alors dans un univers concret, physique, techniquement appréhensible, d’une certaine façon limitée. Et d’ailleurs la domination de ces compagnies, qui dépassait largement le cadre même du business, a pu être -en partie -maitrisée.
La loi du Patriot Act s’impose
Avec le numérique, on est ailleurs. La révélation du système PRISM qui montre les liens ouverts entre la NSA et les géants du net et des réseaux sociaux vient nous le redire. On pourrait bien sûr expédier l’analyse en reconnaissant juste qu’il n’y a finalement pas là de grande surprise : George Bush a imposé le Patriot Act après les attentats du 11 septembre qui permet grosso modo à l’Etat fédéral de faire ce qu’il veut au nom de la défense des intérêts supérieurs du pays en dehors de tout cadre légal. Que les Google, Yahoo ! et autres Facebook soient contraints de transmettre ce que leur demandent les services de renseignements apparait du coup compréhensible. Soit.
Mais rappelons tout de même, avec une petite pointe de nostalgie, que ces entreprises se sont bâties autour de quelques idées, sinon libertaires, du moins pétries d’intentions généreuses autour des thèmes du partage, de l’universalité, voire de la transparence. L’expérience aurait dû nous prévenir que les beaux desseins ont un temps, dès lors que la taille économique s’avère rapidement incompatible avec des objectifs devenus tout autres. On pouvait espérer un peu de répit compte tenu de la nature même de ce monde numérique en ce qu’il autorise l’exercice de contre pouvoirs. C’est vrai, mais c’est finalement assez faux.
Tout le monde en “croque”
Le fatalisme avec lequel a été reçue cette nouvelle nous éclaire brutalement sur cette réalité. Que les autorités publiques et politiques soient discrètes ou pour le moins mesurées dans leurs commentaires – Bruxelles s’est dit « préoccupé » – n’est finalement pas si surprenant. D’abord parce qu’elles savent qu’elles n’ont guère de moyens de peser. Ensuite, parce qu’elles aussi en « croquent » : tous les services occidentaux bénéficient directement ou indirectement de ces informations. Ou le feront un jour.
La relative timidité des réactions de la netosphère apparaît plus étonnante. Le moindre changement des conditions d’utilisation de Facebook réveille la susceptibilité des plus blasés. Et là rien, ou en tout cas peu. Faut-il voir dans cette frilosité une sorte de fatalisme nourri du même sentiment d’impuissance, renforcé par la certitude que le bilan pour chacun d’entre nous est finalement globalement positif : les services, les plaisirs rendus aujourd’hui, et demain plus encore, valent bien quelques dérapages. Ou bien, plus prosaïquement, les internautes – peut-on dire aujourd’hui le peuple ? – ne s’alarment de l’utilisation de leurs données personnelles qu’à partir du moment où celle-ci a pour objectif de « faire de l’argent”, sans qu’ils en reçoivent la moindre contrepartie. Du bon sens marchand, cash, finalement très américain.
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