En dépit des remous qu’il continue de provoquer dans le monde, Edward Snowden a raté son coup. En prenant la fuite. D’autres ont eu plus de courage.
Daniel Ellsberg a aujourd’hui 82 ans. En juin 1971, cet analyste de laRand Corporation, travaillant pour le ministère de la Défenseaméricain, avait fait scandale en communiquant au New York Timespuis au Washington Post les photocopies de ce qu’on avait appelé les “Pentagon Papers”. Un rapport gouvernemental confidentiel sur la réalité de la guerre au Vietnam sous les présidences de John Kennedy, Lyndon Johnson et Richard Nixon, et sur la manière dont les États-Unis, sous des prétextes douteux, s’étaient lancés là-bas dans une escalade militaire sans espoir. L’inculpation de Daniel Ellsberg, poursuivi par la justice américaine pour “vol, conspiration et espionnage”, avait provoqué un immense débat dans le pays, alors que la guerre du Vietnam était de plus en plus contestée. L’émotion de l’opinion avait été telle que, sous sa pression, l’affaire avait fini par être classée sans suite par la justice.
Edward Snowden aurait pu être le Ellsberg de 2013. Car ce qu’il a révélé sur les pratiques de la NSA, l’agence de renseignements américaine, est particulièrement scandaleux. Et d’autant plus révoltant que ces indiscrétions montrent que ce ne sont pas seulement les institutions ou les responsables américains qui étaient visés, mais aussi quantité d’institutions internationales, de pays, de responsables étrangers, dont la plupart sont des alliés des États-Unis.
Affronter l’opinion comme la justice
Certes, ne soyons pas dupes : les Américains ne sont pas seuls à utiliser de semblables techniques. Mais d’après les informations de Snowden, ils l’ont fait à une telle échelle et avec un tel systématisme que, même lorsque l’on tolère ces méthodes par souci d’efficacité, il est difficile de ne pas être choqué. Et plus encore de s’interroger sur la sincérité des responsables d’un pays qui, comme à Moscou du temps de la guerre froide, placent des micros dans les bureaux de partenaires avec lesquels ils s’apprêtent à conclure un accord libéralisant leurs échanges commerciaux. Ce qui suppose un minimum de confiance réciproque.
Quel beau débat cela aurait dû faire sur la nécessaire protection de la vie privée face à l’indispensable lutte contre ceux qui menacent la démocratie ou pervertissent le capitalisme. La controverse a bien été amorcée, mais elle n’a pas eu, jusqu’à présent, les développements qu’elle aurait pu avoir. Et cela pour une seule raison : le “whistleblower” (lanceur d’alerte) a fui le pays dont il a dénoncé les pratiques, au lieu d’affronter l’opinion comme la justice.
Apatride
Et, circonstance aggravante, il s’est réfugié successivement dans deux pays qui, comme en attestent leur histoire, sont renommés pour leur défense des libertés et des droits de l’homme : la Chine et la Russie ! Donnant à l’un des arguments supplémentaires pour mettre son propre pays en difficulté, en lui dévoilant la manière dont les Américains avaient pénétré les systèmes informatiques chinois. Et permettant au second de jouer les grands seigneurs en refusant l’asile politique à un homme qui lèse les intérêts de “notre partenaire américain”, dixit Vladimir Poutine, qui a comparé la situation de Snowden à celle du dissident Andreï Sakharov. Comme si on pouvait faire un parallèle entre l’Amérique d’aujourd’hui et l’URSS des goulags.
Maintenant que l’asile politique lui est pratiquement refusé partout et que son passeport américain lui a été retiré, Edward Snowden, devenu apatride, serait bien inspiré d’arrêter là sa cavale et de cesser d’écouter les conseils des gens de WikiLeaks, dont le leader – quel sort glorieux – est reclus dans une chambre de l’ambassade d’Équateur à Londres. Edward Snowden devrait rentrer aux États-Unis et se présenter devant ses juges et devant l’opinion. C’est étrangement ce que souhaitent les plus fervents défenseurs de sa cause, comme ses plus irréductibles adversaires.
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