American 'Soft Power' Isa Victim of the Budget Crisis

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Largement responsable de la défaite républicaine en 2012, le Tea Party a pris en otage l’Amérique. Du psychodrame américain, il y a une leçon à tirer pour tous ceux qui, en France ou en Europe, veulent pactiser avec les partis populistes.

Le cimetière américain de Colleville-sur-Mer, dans le Calvados, surplombe Omaha Beach. C’est un haut lieu du tourisme de mémoire en France. Depuis Jimmy Carter, tous les présidents des Etats-Unis s’y sont recueillis, comme Barack Obama le fera sans doute à nouveau le 6 juin 2014, à l’occasion du 70e anniversaire du débarquement de Normandie, pour rendre hommage au sacrifice de ces milliers de jeunes soldats qui sont morts pour libérer l’Europe de la barbarie nazie. Se rendre à Colleville-sur-Mer, c’est déjà être, sans décalage horaire et sans fatigue, aux Etats-Unis, tant l’architecture des lieux et de l’espace vous transportent immédiatement à des milliers de kilomètres au-delà de l’Atlantique. Depuis près de deux semaines, comme tous les lieux publics, qui dépendent de l’administration américaine, le cimetière de Colleville est fermé. Le présent de l’Amérique dans ce qu’il a de plus absurde et détestable a pris en otage le passé de l’Amérique, dans ce qu’il peut avoir de plus noble et respectable.

Le « soft power » des Etats-Unis est ainsi victime à intervalles réguliers de l’absurdité d’un système qui s’impose des règles artificielles et de l’idéologie suicidaire d’un groupe d’hommes et de femmes ralliés derrière la bannière du Tea Party et celles d’autres forces ultra-conservatrices comme l’Heritage Foundation. L’Amérique paie aussi le prix des petits calculs politiciens d’un trop grand nombres d’élus républicains qui pensent avant tout à assurer leurs réélections en 2014. Ils ont besoin du soutien sans faille de ces minorités oppressives que sont devenus les ultra-conservateurs. Peu importe que l’Amérique soit la risée du monde, que son président ne puisse retrouver son homologue chinois au dernier sommet Asie-Pacifique. Leurs électeurs sont conservateurs avant d’être républicains, ils les suivront donc dans cette direction. L’« essence » de l’Amérique à l’intérieur est plus importante que ses « performances » à l’extérieur.

Pour comprendre le Tea Party, il est important de préciser que ses membres ne sont pas contre les aides de l’Etat qu’ils peuvent percevoir eux-mêmes. Eux sont de « vrais Américains », travailleurs et honnêtes : c’est l’aide aux autres, aux émigrés, aux sans-travail et sans-papiers qu’ils dénoncent avec la plus extrême virulence. Ainsi, derrière l’obsession de l’équilibre budgétaire et au-delà de la dénonciation de la toute- puissance du gouvernement fédéral, se cache en réalité un racisme ordinaire. Il serait même, tristement banal, s’il n’avait pas un tel impact sur l’image et le fonctionnement de ce qui est encore la première puissance mondiale.

Le Tea Party est né au lendemain de la défaite du candidat du Parti républicain, John McCain, à l’élection présidentielle de 2008. Le Parti était démoralisé après avoir été au pouvoir pendant huit ans. Un espace était à prendre. Les tenants du Tea Party – ce n’est pas une surprise – se recrutent en majorité dans la classe moyenne blanche et ont pour l’essentiel plus de quarante ans. Les études les plus récentes faites sur eux démontrent que la composante anti-immigration de leur vote est plus importante qu’on ne le pensait initialement. En réalité, ils n’acceptent pas la présence à la Maison- Blanche d’un président qui n’est pas à leurs yeux « un vrai Américain ».

Produit direct de la défaite du Parti républicain en 2008, les ultraconservateurs du Tea Party sont également très largement responsables de la défaite du candidat républicain Mitt Romney à l’élection présidentielle de 2012. Ils l’ont conduit en effet à durcir son discours en fin de campagne. Romney s’est ainsi définitivement aliéné les voix des électeurs indépendants du centre et plus encore celles de la communauté hispanique, déjà naturellement encline à voter démocrate, sans parler bien sûr de l’électorat noir. « Mes préjugés avant mon pays, mon parti avant l’Amérique ! » C’est ainsi, que porté par cette logique, le Parti républicain se retrouve désormais au bord du précipice. Certes, comme animé par un instinct de survie, face à la fermeté d’un président Obama se sentant en position de force, le Parti républicain s’est vu contraint à un recul tactique ces derniers jours. L’impopularité de son action était devenue trop grande, son isolement progressif au sein de la nation trop visible. Un compromis à court terme s’est imposé avec un plafond de la dette relevé sans conditions pour un délai de six semaines. Le spectre d’un défaut de paiement s’éloigne, un événement célébré, avec modération, par la hausse des Bourses mondiales. Mais le mal est fait. Ce n’est pas ainsi que l’on gère la première puissance mondiale. Le psychodrame qui, tous les deux ans désormais, semble se rejouer en Amérique est plein d’enseignements qui vont bien au-delà de l’Amérique elle-même. Chacun y trouvera en réalité ce qu’il y cherche. Les régimes autoritaires y verront la confirmation de leurs doutes sur les vertus du système démocratique.

Mais cette victoire temporaire de la « vetocratie », pour reprendre la formule de Francis Fukuyama, traduit la dérive et le blocage d’un système, non son essence. Par ailleurs, tous ceux qui en Europe et en France même sont prêts à tous les compromis avec les partis populistes doivent voir dans le « mélodrame » que vit l’Amérique une leçon et un avertissement. On ne pactise pas innocemment avec des forces qui n’ont aucun sens du bien commun ou du compromis, qui sont tellement sûres de la justesse de leur cause ou si totalement dominées par leurs haines, qu’elles sont prêtes au nom de leur vision idéologique du monde à toutes les extrémités. Même si un compromis durable est trouvé demain, la crise a déjà fait deux victimes : l’Amérique et le Parti républicain.

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