Le Texas refuse de laisser mourir une femme enceinte
Arguant d’une loi protégeant le fœtus, un hôpital maintient en vie une patiente en état de mort cérébrale contre l’avis de sa famille. L’affaire fait débat.
Elle s’appelle Marlise Munoz et son cas cristallise à la fois les débats autour de l’avortement et ceux sur la fin de vie, dans le très conservateur Texas. Le 26 novembre, cette femme de 33 ans, mère d’un petit garçon et enceinte de quatorze semaines, s’est effondrée, victime d’une embolie pulmonaire. A l’hôpital John Peter Smith de Fort Worth, au Texas, les médecins la déclarent en état de mort cérébrale. Un mois et demi plus tard, Marlise Munoz est toujours en soins intensifs, maintenue artificiellement en vie. Les médecins refusent de la «débrancher», contre l’avis de sa famille et contre la volonté que Marlise Munoz avait exprimé.
La jeune femme avait clairement fait savoir à son mari, Erik Munoz, que s’il lui arrivait quelque chose, elle ne voudrait pas d’acharnement thérapeutique. Mais l’hôpital dit se conformer à la loi. Car le Texas est l’un des douze Etats américains qui interdit à quiconque d’«arrêter ou suspendre un traitement de maintien en vie sur une patiente enceinte», et ce quel que soit le stade d’avancement de la grossesse, en vertu d’une loi adoptée en 1989 et amendée en 1999.
Le fœtus de Marlise Munoz est aujourd’hui dans sa vingtième semaine de développement, et son rythme cardiaque est selon les médecins normal. Mais, pour le père de la jeune femme, «ce pauvre fœtus a été soumis au même manque d’oxygène, aux mêmes chocs électriques, aux mêmes produits chimiques que Marlise. Pour ce que l’on en sait, il est dans le même état qu’elle», selon ses déclarations au Dallas Morning News.
La famille, interrogée par de nombreux médias américains, a fait savoir que, compte tenu des faibles chances de survie du fœtus, elle voulait qu’on le laisse mourir en paix, de même que sa mère. L’hôpital n’a pas fait savoir s’il comptait prolonger la grossesse artificiellement jusqu’à un accouchement par césarienne mais a discuté de cette hypothèse devant le mari. Les médecins devraient prendre une décision courant février, selon l’état du fœtus à ce moment-là.
Selon un article du journal BMC Medicine publié en 2010, douze cas d’enfants nés alors que leur mère était en état de mort cérébrale ont été rapportés. On sait qu’au moins six d’entre eux se sont développés normalement – on manque de données sur les autres cas.
«C’est un déni par l’Etat des volontés de notre fille»
L’affaire a réactivé le débat bioéthique sur la fin de vie et le droit des femmes à l’avortement, très limité au Texas et objet d’une bataille constante entre républicains et démocrates. Les uns, «pro-choice», rappellent qu’à ce stade de sa grossesse Marlise Munoz aurait pu faire valoir son droit constitutionnel à un avortement. Les autres, «pro-life», que le fœtus est une personne qui a droit à la vie.
«La législation autorise à maintenir une femme en vie pour permettre la gestation du fœtus», confirme auprès du New York Times Katherine A. Taylor, une avocate spécialiste en bioéthique de l’Université de Drexel à Philadephie, tout en soulignant que «ces lois dénient à certaines femmes le droit, accordé aux autres, de déterminer la manière dont elles veulent mourir». Plusieurs experts en bioéthique considèrent néanmoins que l’hôpital fait une erreur d’interprétation : selon eux, Marlise Munoz n’est pas en phase terminale mais bien techniquement morte, et son cas n’est donc pas soumis à cette loi.
«Ce n’est pas une question de pro-choice et pro-life, défend la mère de Marlise Munoz. C’est une question de déni par l’Etat du Texas des volontés de notre fille.» La famille envisage de s’en remettre à un avocat qui porterait l’affaire en justice.
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