Pourquoi John Kerry est la bête noire d’Israël
A quelques semaines de la présentation de son plan de paix, le secrétaire d’Etat américain est devenu la bête noire de la droite israélienne. John Kerry a eu l’audace d’évoquer les risques de boycottage auxquels l’Etat hébreu pourrait faire face s’il refusait les propositions qui lui seront faites.
L’allusion à l’isolement croissant d’Israël dans le monde a fait mouche parce que le gouvernement Netanyahou n’a pas attendu les propos du diplomate américain pour s’inquiéter de ce qu’il appelle une campagne pour « délégitimer » l’Etat d’Israël. Ces dernières semaines, le mouvement s’est amplifié de façon alarmante, faisant parler de lui comme jamais auparavant.
L’actrice Scarlett Johanson a dû rompre son contrat avec l’ONG Oxfam parce qu’elle fait la promotion d’une société basée dans une colonie de Cisjordanie. Le fonds de pension néerlandais PGGM a dû cesser d’investir dans cinq banques israéliennes ayant pignon sur rue dans ces mêmes colonies. Aux Etats-Unis, une organisation d’universitaires, l’American Studies Association, a décrété un boycottage académique d’Israël. Quand à l’Union européenne, elle applique des « lignes directrices » qui excluent de la coopération avec Israël les institutions et entreprises en territoire occupé.
La campagne internationale menée par l’organisation BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) dispose de moyens importants et prend soin de cibler son action sur la politique de colonisation menée par le gouvernement israélien dans les Territoires. La parade consistant à assimiler de telles mesures à des manifestations d’antisémitisme est en train de perdre beaucoup de son pouvoir de dissuasion.
Le phénomène illustre la montée en puissance des ONG dans la bataille pour la conquête de l’opinion publique mondiale et leur capacité grandissante à imposer leur propre agenda aux diplomaties des Etats. Il se double d’une autre évolution, en sens inverse, et tout aussi préoccupante pour Israël : le recul de l’influence des instances communautaires juives aux Etats-Unis.
Malgré une campagne menée auprès des sénateurs américains, le puissant lobby de l’AIPAC vient d’échouer à faire voter de nouvelles sanctions contre l’Iran qui auraient pu faire échec aux négociations en cours. Avec le passage des générations, les responsables israéliens s’inquiètent de voir l’électorat juif américain prendre ses distances avec l’Etat hébreu et ses choix politiques. La montée en puissance d’une organisation concurrente à l’AIPAC, « J Street », favorable pour sa part au compromis sur le dossier palestinien, contribue par ailleurs à diluer l’impact de la droite israélienne sur le Congrès et la Maison Blanche.
A un moment crucial marqué par la déstabilisation générale du Moyen Orient et la perspective d’une réintégration dans l’ordre régional d’un Iran au seuil de l’arme nucléaire, Israël se trouve donc confronté à un sérieux problème de « soft power », cette capacité d’influence non militaire qui est de plus en plus nécessaire de nos jours. Pour un pays dont la sécurité est assurée depuis des lustres par la doctrine de la « muraille d’acier » reposant sur une écrasante supériorité des forces armées, il y a là un défi stratégique qu’il est urgent de relever.
L’opération « Plomb durci », à Gaza en décembre 2008, avait sonné une première alerte. Tsahal avait eu beau remporter une victoire décisive sur le terrain, en réduisant à néant la capacité des groupes islamistes radicaux de tirer des roquettes sur Israël, le coût, en termes de diplomatie et d’image projeté dans le monde, avait été désastreux. La rupture avec la Turquie, allié régional essentiel pour l’Etat hébreu et sa capacité à se projeter loin de ses frontières, date de cette époque et n’a toujours pas été surpassée. Au XXIème siècle, il ne suffit plus d’être le plus fort pour l’emporter.
John Kerry connaît le peu d’enthousiasme de Benjamin Netanyahou à faire des concessions sur le dossier palestinien. Pourquoi prendre le moindre risque lorsque l’Iran reste une menace et que la stabilité de l’Egypte et de la Jordanie, les deux pays arabes avec lesquels la paix a été signée, est aussi fragile ? Le secrétaire d’Etat, dont la ténacité est qualifiée de « messianique » à Jérusalem, travaille par conséquent l’autre terme de l’équation : le coût de l’isolement qu’Israël devra supporter s’il refuse de se jeter dans l’inconnu. Les très vives réactions israéliennes montrent que l’argument de John Kerry a un certain poids.
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