Les Oscars, entre vieux studios et nouvelles têtes
En décernant sept Oscars au film spatial Gravity, les votants de l’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences ont placé en tête de leur distribution des prix annuelle un film très cher – son budget a été estimé à 100 millions de dollars, (72,5 millions d’euros) – financé par un studio hollywoodien, Warner, et qui déjà peut prétendre au titre de blockbuster avec ses 700 millions de dollars de recettes dans le monde. N’étaient la nationalité du réalisateur de Gravity, le Mexicain Alfonso Cuaron, et celle du producteur, le Britannique David Heymann, qui est à l’origine de la série des Harry Potter, on pourrait presque voir dans le succès de Gravity une validation du vieux système hollywoodien.
Ce serait ignorer que le bilan de la soirée prend en compte les mutations du cinéma américain. Son ouverture croissante sur l’extérieur, d’abord – c’est un projet britannique porté par un cinéaste issu de l’art contemporain, 12 Years a Slave, de Steve McQueen, qui a remporté l’Oscar du meilleur film. Ainsi que la scission presque totale entre de grandes multinationales surtout occupées à produire d’énormes films dont il faut assurer à tout prix le succès commercial, et des producteurs et financiers indépendants qui montent des projets parfois pharaoniques que naguère les studios auraient pris en charge.
Le Loup de Wall Street, de Martin Scorsese, nommé quatre fois et reparti bredouille a disposé d’un budget de 100 millions de dollars grâce au concours de Red Granite, une société dirigée par Riza Aziz, beau-fils d’un ancien premier ministre de Malaisie. Et ce concours n’a probablement été obtenu que par la présence au générique et dans la liste des coproducteurs, par sa société Appian Way, de la vedette du film, Leonardo DiCaprio.
BRAD PITT EN TANT QUE PRODUCTEUR
De même, lorsqu’il s’est agi d’aller chercher sur la scène du Dolby Theatre l’Oscar du meilleur film, c’est Brad Pitt qui a pris la parole. La vedette de World War Z intervenait non pas en tant qu’interprète mais en tant que producteur de 12 Years a Slave, un film au budget beaucoup plus modeste que celui de Scorsese, 20 millions de dollars, qui avait quand même besoin de la caution médiatique et financière d’un acteur qui comme certains de ses pairs – George Clooney ou DiCaprio – prend au sérieux son deuxième métier de producteur.
Une configuration que l’on retrouve de l’autre côté de l’océan, puisque la vedette britannique Steve Coogan était aussi le producteur de Philomena, de Stephen Frears, qu’il interprétait par ailleurs.
Aux côtés de ces superstars, on trouve de jeunes magnats comme Megan Ellison. A 29 ans, la fille du fondateur de l’entreprise informatique Oracle est devenue le recours des auteurs exigeants. Cette année, elle a financé tout ou partie des films de Spike Jonze (Her) et David O. Russell (American Bluff). Alors que Hollywood, et les Oscars, laissent aux réalisatrices la portion congrue, les productrices prennent une place croissante. Deux femmes, Robbie Brenner (qui dirige le département production du studio indépendant Relativity Media) et Rachel Winter ont produit Dallas Buyers Club, de Jean-Marc Vallée, un autre triomphateur de la soirée.
Bien sûr, les majors ne se désintéressent pas tout à fait du cinéma d’auteur. Mais il n’est plus question pour elles de porter des projets de leur conception à leur sortie en salles, ce qu’elles faisaient auparavant, qu’elles produisent directement les films ou qu’elles consentent de grosses avances. La Paramount s’était engagée dans Le Loup de Wall Street avant de se retirer au moment du krach de 2008, comme l’ont fait d’autres studios sur d’autres films. La crise a été pour les majors une raison et un prétexte de se désengager des films qu’on appellerait en France « du milieu » pour consacrer leurs ressources aux blockbusters, à des films dont les héros sont déjà familiers avant la sortie de la bande-annonce. Les studios n’interviennent plus qu’au niveau de la distribution : la Fox a assuré celle de 12 Years a Slave, Sony celle de Blue Jasmine. De ce point de vue, la présence de Paramount Vantage parmi les producteurs de Nebraska, d’Alexander Payne, apparaît comme un anachronisme.
La frilosité savamment calculée des studios s’est traduite par la diminution du nombre de films mis en chantier par chacun d’entre eux et l’explosion du budget de ceux qui obtiennent effectivement leur feu vert. Une situation qui oblige les producteurs indépendants à chercher des investisseurs ailleurs qu’en Californie, dans le monde entier. Qu’ils soient indiens, malaisiens, allemands, russes ou brésiliens, ceux-ci exigent un retour rapide sur leur mise et les Oscars sont l’un des moyens d’assurer cette rentabilité. L’opinion s’est généralisée qu’un film qui ne relève pas du marketing de masse a un besoin vital d’être présent aux Oscars pour toucher un large public. D’où l’inflation spectaculaire des frais de campagne engagés par les producteurs et les distributeurs pour assurer les nominations puis l’attribution des trophées, inflation qui suscite à son tour une couverture médiatique sans cesse croissante, d’autant que les mécanismes de la course aux statuettes sont adaptés aux caprices des réseaux sociaux.
Encore faudra-t-il que l’Académie s’adapte à cette nouvelle configuration d’un cinéma américain plus mondialisé, plus diversifié, plus féminin. Selon une enquête du Los Angeles Times, réalisée en 2012, 94 % des quelque 5 700 inscrits étaient blancs, seuls 14 % avaient moins de 50 ans et les trois quarts étaient des hommes.
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