Ferguson, sombre miroir des fractures américaines
Edito du « Monde ». Ferguson, cette banlieue de Saint-Louis dans le Missouri, apparaît depuis dix jours comme une cruelle métaphore de l’Amérique contemporaine, de ses tensions, de ses fractures et de ses vieux démons.
Ferguson, 22 000 habitants, aux trois quarts blanche il y a vingt ans, aux deux tiers noire aujourd’hui, middle class hier, pauvre aujourd’hui. Mais une ville dont le maire est blanc, dont le conseil municipal ne compte qu’un seul Afro-Américain et les forces de police 6 % de Noirs seulement. Ferguson, où, le 9 août en milieu de journée, sous les yeux d’un de ses amis, un jeune Afro-Américain de 18 ans, Michael Brown, a été abattu de six balles par un policier blanc de la ville, dans des circonstances encore imprécises.
Depuis dix jours, la tension ne faiblit pas à Ferguson. Toutes les nuits, des scènesd’émeutes et de pillage opposent une police de plus en plus militarisée à quelques centaines de manifestants en colère. Et l’escalade policière – utilisation de véhicules blindés, instauration de l’état d’urgence et, désormais, intervention de la Garde nationale –, n’a rien fait jusqu’à présent pour calmer les esprits. Au contraire.
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Comme l’assassinat de Trayvon Martin, un autre jeune Afro-Américain, en février 2012, et comme bien d’autres affaires similaires moins médiatisées, la drame de Ferguson ne peut que rappeler la persistance de la fracture raciale américaine, démultipliée par le décrochage social. Elle entretient et renforce l’intime et insupportable conviction de nombreux jeunes Noirs américains qu’ils restent la cible privilégiée d’une violence policière quotidienne, faite de contrôles incessants, quand ce n’est pas de coups de feu mortels.
LA PRUDENCE D’OBAMA
Il y a un peu plus de dix ans, un jeune sénateur noir de l’Illinois, Barack Obama, était parvenu à introduire des modifications significatives dans la législation de cet Etat pour limiter les abus de pouvoir de la police et mieux la former. Depuis six ans, M. Obama occupe la Maison Blanche. Son élection en 2008, sa réélection en 2012 ont démontré, de façon remarquable, l’évolution des mentalités dans un pays longtemps miné par la ségrégation raciale.
Mais l’affaire Michael Brown rappelle la longueur du chemin qui reste à parcourirpour abolir cette « frontière de la couleur » qui divise toujours l’Amérique. Le président américain l’a reconnu en intervenant, à nouveau, le 18 août. Appelant les forces de police à la « retenue » et les manifestants au calme, il a souligné que les jeunes de couleur ont « plus de chances de finir en prison ou devant un tribunal que d’accéder à l’université ou d’avoir un bon emploi ». « C’est un vaste projet. Notre pays y travaille depuis deux siècles », a conclu M. Obama.
Cette prudence face aux conservatismes et aux réflexes communautaires, ce refus de dramatiser et d’engager, sur la lancinante question raciale, un grand débat national, relèvent d’un choix politique rationnel et assumé par le président américain. Mais c’est un choix difficilement audible par les jeunes de Ferguson. Et, au-delà, par l’Amérique progressiste.
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