“Charlie Hebdo” : le “New York Times” ne publie pas les caricatures
Le grand journal américain a choisi de ne pas diffuser les dessins de l’hebdomadaire français jugées “inutilement insultantes”. Une décision qui provoque de nombreuses critiques.
Ils ont hésité. Toute la journée. Certains les ont publiées, avant de les retirer. Au final, la plupart des grands organes de presse américains, ainsi que les chaînes de télé, ont décidé de ne pas publier les caricatures de “Charlie”. Il y a des exceptions, pas si rares que cela : “Wall Street Journal”, “Huffington Post”, “Vox”, et quelques autres.
Mais les grands noms ont font le choix inverse. Péniblement : jeudi, la médiatrice du “New York Times” a donné la parole à Dean Baquet, le patron de la rédaction, pour expliquer sa décision. Il avouait avoir passé “presque la moitié de la journée” de mercredi à hésiter sur la décision à prendre, avant de dire “niet” aux caricatures sous prétexte qu’elles étaient “expressément, délibérément et inutilement insultantes pour des membres de groupes religieux”.
Un torrent de critiques
Consensus ? La décision de Baquet a été accueillie par un torrent de critiques, de la part des lecteurs, et elle a même troublé la médiatrice, Margaret Sullivan, qui finit son billet ainsi :
Un examen et une reconsidération des critères [du journal concernant la publication de tels documents] serait peut-être bienvenue dans les jours qui viennent.”
Le plus remarquable est la qualité des critiques adressées par des lecteurs qui, au jugé, sont cinq à six fois plus nombreux à condamner la prudence du “Times” qu’à la soutenir. Certains sont saignants :
Les gens avaient coutume de dire que si vouliez parler de reddition, il suffisait de vous comparer à la France. Maintenant, ils pourraient vous comparer au ‘New York Times'”, écrit “VJR”.
“Je suis profondément choqué que Mr. Baquet balaie [le travail des caricaturistes] en le qualifiant d’insultes gratuites – et je doute qu’ils auraient risqué leur vie pour quelque chose qu’ils considéraient gratuit”, note un autre lecteur.
Accusations d’hypocrisie
Mais ce sont les arguments de fond qui sont les plus percutants. Un, le “Times” a fait preuve d’hypocrisie. Il a censuré les dessins, mais mis sur son site la vidéo de l’assassinat d’Ahmet Merabet (en tronquant seulement l’instant où il est abattu).
Quelle image est la plus choquante, celle du sang de victimes innocentes, ou les caricatures ?”, demande Liberty Apples.
Et le “Times” n’a pas toujours eu ses pudeurs d’aujourd’hui : “Le 22 juillet 2009, le New York Times a publié une image de l’artiste Andres Serrano, en 1997, avec son crucifix immergé dans l’urine”, rappelle un lecteur de Californie. Il “publie toutes sortes de choses avec lesquelles je suis sûr qu’il n’est pas d’accord”, renchérit “TFree Press”. “Comme des déclarations ou menaces émanant de racistes, liées aux extrémismes religieux de tous bords, ou des citations telles que le manifeste d’Unabomber.” “Je me souviens du ‘Times’ reproduisant des caricatures violemment antisémites venues d’Iran, il y a quelques années”, dit un autre.
Le nombre contre la peur
Deux, la dimension de la tragédie ne peut pas ne pas avoir d’influence sur la décision de publier ou non ces dessins. “‘Charlie Hebdo’ a publié ces caricatures à cause, non en dépit du fait qu’elles étaient provocatrices”, dit “Max Davies”.
Vous devez les publier parce que vos collègues ont été assassinés pour avoir exercé leur droit de le faire, pas parce que vous les approuvez ou non.”
“Il semblerait raisonnable de dire que le NYT ne publiera pas les caricatures, simplement parce que ses normes n’autorisent pas une moquerie inutile d’une religion, quelle qu’elle soit. Mais à ce moment précis, il y a un besoin énorme de se dresser contre ces assassins de personnes et de la liberté d’expression. C’est une différence colossale”, insiste “Dawit Cherie”.
Et seul le nombre, écrit “ellen”, peut avoir raison de la peur : “Il devrait y avoir un effort, peut-être en commençant par le ny times, pour que chaque journal en Amérique publie les caricatures (…) C’est une situation similaire à “The Interview”. La stratégie terroriste devrait se révéler contre-productive et offrir au monde une quantité énorme [de ces] images.”
Des insultes gratuites ?
Trois, le terme d’”insultes gratuites” utilisé par Baquet reste en travers de la gorge de pas mal de lecteurs. “Leurs cibles n’étaient pas les religions mais la stupidité et la violence (“les cons et les salauds”, comme disait Charb)”, écrit “Benjamin”. “Josh Hill”, lui, est allé voir lesdites caricatures sur d’autres sites, après avoir lu le billet du “New York Times”, et en est revenu tout étonné :
Elles sont en fait, de façon surprenante, soft et marrantes”.
Tout espoir n’est pas perdu. “Randall” implore le journal : “S’il vous plaît, reconsidérez votre décision et publiez les caricatures. Les caricatures sont l’histoire”. Peu probable, mais il est clair que l’autocensure du “Times” n’a pas fini de faire des vagues, en-dehors et à l’intérieur du journal.
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