Aux Etats-Unis, l’argent coule à nouveau à flots. Tout se passe comme si les leçons de 2007-2008 étaient oubliées. Sous couvert de l’euphorie retrouvée se prépare le prochain choc systémique mondial. Pire que le précédent.
Allô, la Terre ? » Revenir en Europe, et en France, après un séjour d’un mois aux Etats-Unis est un choc assez brutal.
Là-bas, sur la planète américaine, la croissance, l’innovation et l’argent débordent de partout. Avec un taux de chômage de 5,7 % (contre 10 % en 2009), un rythme actuel de création de 3 millions d’emplois par an, le plein-emploi n’est plus un mirage, mais un objectif tangible.
Dans la Silicon Valley comme dans les autres hubs technologiques américains (Boston, New York notamment), le rythme des innovations est exponentiel, à l’instar des progrès de l’intelligence artificielle là-bas : à témoin le record de 300.678 brevets déposés en 2014 (Uspto) ; et l’avertissement de Bill Gates (« I am in the camp that is concerned about super intelligence. »).
L’argent déborde de partout : depuis le robinet de la Réserve fédérale et ses 3.700 milliards de dollars de « quantitative easing » ; dans les fonds de « private equity » et les entreprises qui ne savent plus quoi faire, les uns de leurs fonds non utilisés, les autres de leurs excédents de réserves (après distribution de dividendes et rachats d’actions), à l’instar d’Apple (près de 150 milliards de dollars). L’argent déborde aussi dans les dîners de « fund raising » pour financer les campagnes politiques des futurs juges (les procureurs, aux Etats-Unis, ont besoin de lever des fonds pour se faire élire – cette industrie s’appelle la justice), ou des candidats aux primaires de 2016. Ainsi de Jeb Bush, qui vous conviait à dîner chez Henry Kravis (KKR) au 625 Park Avenue le mercredi 11 février, moyennant la modique somme de 100.000 dollars. Il faut au moins cela pour rivaliser avec l’objectif d’Hillary Clinton de lever 500 millions de dollars pour les futures primaires démocrates. Ces modestes montants étant des hors-d’oeuvre à côté des fonds levés pour la dernière campagne parlementaire (4 milliards de dollars pour les élections « midterm » de 2014) ou présidentielle (6 milliards de dollars en 2012).
Dans l’Amérique de 2015, tout s’achète, y compris les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. D’ailleurs, qui s’en plaindrait ? C’est la théorie, très en vogue du « trickle down » : déversons un maximum d’argent en haut de la pyramide, et l’argent ruissellera (« trickle ») pour tous.
Et, de fait, l’argent ruisselle pour tous aux Etats-Unis aujourd’hui. Exactement comme à l’été 2007, lorsque je m’y suis établi. Il ruisselle en Bourse : le multiple de résultat de long-terme du S&P 500 est supérieur à 27 : un niveau jamais atteint depuis l’été 2007. L’été où les premiers craquements de la crise des « subprimes » se sont fait entendre.
Vous avez aimé la « saison 1 » de la crise des « subprimes », version 2008-2009 ? Celle qu’aucun dirigeant d’institution financière, en Europe ou aux Etats-Unis, n’avait vu venir ? Chacun étant trop occupé à compter ses bonus, à ventiler ses produits toxiques et à expliquer que le risque financier avait disparu puisqu’on avait trouvé la martingale pour le diffuser partout, de façon indolore ? Cette crise qui aurait dû provoquer l’arrêt cardiaque du système financier mondial, sans une bonne part de chance, et l’intervention déterminée des gouvernements – ces Etats que l’on conspue sitôt la croissance revenue, mais devant qui l’on tend la sébile en pleurnichant, par gros temps ?
Préparez-vous pour la « saison 2 » des « subprimes » quelque part entre 2016 et 2018 : il y a quinze jours, l’institut américain Equifax, mesurant les crédits à la consommation américain, révélait que 40 % de ces crédits (près de 200 milliards de dollars sur 800) étaient souscrits par des emprunteurs « subprime », c’est-à-dire dont le profil de risque est très en dessous de la moyenne. Aux Etats-Unis, l’argent ruisselle effectivement pour les pauvres. Mais sous forme d’emprunt.
« Same player, shoot again. » Pour avoir vécu de très près cet effondrement du système financier mondial et pour constater aujourd’hui le retour à grande vitesse des pires pratiques du monde financier, avec la passive complicité des gouvernements, il y a quelque chose de désespérant à voir les mêmes causes produire les mêmes effets.
Après l’euphorie du moment, nous allons donc connaître un nouveau choc systémique mondial. Par rapport à celui de 2008, il aura deux différences majeures : il sera beaucoup plus soudain et plus profond, notamment du fait de l’automatisation massive des flux de marchés ; et cette fois-ci, nous serons à court de munitions monétaires et budgétaires pour l’absorber.
Je me risque à une seule prédiction pour cette après-crise-là. Elle amènera au pouvoir, des deux côtés de l’Atlantique, des personnalités et mouvements politiques très éloignés de ceux qui se sont couchés face à ce que Franklin Delano Roosevelt appelait dans son discours à Madison Square Garden le 31 octobre 1936 « les vieux ennemis de la paix – le monopole industriel et financier, la spéculation, la banque véreuse… ceux qui… avaient commencé à considérer le gouvernement des Etats-Unis comme un simple appendice à leurs affaires privées ».
Après cette crise-là, exacerbée par la remontée des tribalismes et nationalismes partout dans le monde, nous aurons donc, pour le pire, Podémos et/ou les Colonels en Espagne, Syriza ou les colonels en Grèce, la Ligue du Nord et/ou les fascistes de CasaPound en Italie. Le Ukip en Grande-Bretagne. Le Front national en France. Ou pour le meilleur, les futurs Franklin Roosevelt, américains ou européens, qui ne sont pas encore identifiés. Mais en attendant, il faut hélas composer avec les héritiers de Herbert Hoover ! Celui qui croyait tant au laisser-faire qu’il a laissé faire la grande dépression de 1929, et ses conséquences pour la paix dans le monde.
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