Semaine cruciale pour le nucléaire iranien
Rarement une négociation diplomatique aura été aussi longue et complexe. Rarement, aussi, les enjeux auront été aussi importants : éviter la prolifération nucléaire au Moyen-Orient, l’une des régions les plus instables du monde. Les tortueux pourparlers sur le nucléaire iranien, amorcés en 2003, abordent leur dernière ligne droite. Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, doivent se retrouver, dimanche 15 mars, à Lausanne, en vue de parvenir, avant le 31 mars, à un accord politique fixant les grandes lignes d’un compromis, qui devra ensuite être complété par des annexes techniques d’ici au 30 juin.
En prélude à cette intense phase de consultations, M. Zarif se rendra, lundi, à Bruxelles, pour s’entretenir, sous l’égide de l’Union européenne, avec les ministres des affaires étrangères français, allemand et britannique. Un déplacement destiné à souligner le caractère multilatéral de ces négociations, même si, dans les faits, elles sont surtout conduites par le tandem Zarif-Kerry. Les discussions se poursuivront, ensuite, en Suisse, sur les bords du lac Léman.
La date butoir pour conclure ces tractations a déjà été reportée à deux reprises depuis l’accord intérimaire de novembre 2013 entre l’Iran et les pays du « P5 + 1 », comprenant les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne. Celui-ci s’est traduit par un gel provisoire des activités nucléaires iraniennes et une levée partielle des lourdes sanctions internationales qui frappent l’Iran, soupçonné par les Occidentaux de chercher à se doter d’une bombe atomique sous le couvert d’un programme civil. Mais une nouvelle prolongation semble improbable. Le président américain, Barack Obama, qui subit la pression d’un Congrès méfiant envers Téhéran, s’y est publiquement opposé. « Le temps est compté et la pression se renforce sur les négociateurs », observe Ali Vaez, spécialiste de l’Iran à l’International Crisis Group.
« Un accord est faisable »
A l’approche de cette nouvelle échéance, les chancelleries occidentales affichent un optimisme prudent, qui tranche avec la tonalité sceptique qui prévalait jusqu’alors, notamment de la part de Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française. « Un accord est faisable, il n’y a pas de barrière fondamentale », assure un proche du dossier, pourtant réputé pour être un « faucon » sur cette question. « Mais on n’y sera qu’à la dernière heure, du dernier jour », avertit-il.
L’objectif des pourparlers à Lausanne est d’arriver à un texte de « trois à quatre pages », selon une source bien informée, détaillant « les grands paramètres » d’un accord final. A ce stade, juge un diplomate, les obstacles ne sont plus « techniques ». A force de négocier depuis bientôt seize mois, « toutes les options ont été passées au crible, c’est maintenant aux Iraniens de faire un choix politique », assure-t-il.
Les contours d’un éventuel compromis sont connus. Les questions clés portent sur la capacité d’enrichissement d’uranium de l’Iran, un combustible nécessaire à la fabrication d’une arme nucléaire, et les mécanismes de surveillance pour vérifier que Téhéran tient ses engagements dans le cadre d’un accord. « Sur l’enrichissement, il y a plus de terrain commun qu’auparavant », note Ali Vaez. Un diplomate impliqué dans le dossier juge « cohérent » le scénario faisant état d’une limitation du nombre de centrifugeuses iraniennes à environ 6 500, alors que le pays en possède près de 20 000, dont la moitié en activité.
Le chiffre est plus élevé que celui envisagé à l’origine par les grandes puissances. En contrepartie, l’Iran s’engagerait à ne pas développer des centrifugeuses plus puissantes et aussi à exporter en Russie une partie significative de son stock d’uranium déjà enrichi, où il serait transformé pour rendre son utilisation à des fins militaires quasiment impossible.
« Les principaux obstacles techniques semblent en voie de règlement, restent maintenant les questions politiques », remarque François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran. Elles sont, dit-il, de deux ordres : la durée de l’accord et le rythme de levée des sanctions qui étouffent l’Iran depuis 2006. Sur la durée, la France juge « insuffisante » une période de dix ans, évoquée par le président Obama, pendant laquelle l’Iran serait soumise à un régime d’inspections renforcées. Téhéran, de son côté, souhaiterait que ces mesures d’exceptions ne dépassent pas cinq ans.
S’il subsiste des blocages, les avancées sont réelles
Mais pour l’Iran, l’enjeu essentiel est la levée des multiples sanctions (américaines, européennes et onusiennes) dont l’impact a été renforcé par la chute des cours du pétrole, la principale ressource du pays. C’est une priorité absolue pour le président Hassan Rohani, dont la crédibilité repose sur sa capacité à améliorer le niveau de vie des Iraniens pour contrer les radicaux du régime, opposés à la moindre concession sur le nucléaire.
Les Iraniens exigent la suppression immédiate de l’ensemble des sanctions, une demande illusoire car elle priverait les Occidentaux de tout levier en cas de dérapage. Téhéran réclame avant tout la levée des sanctions de l’ONU qui maintiennent le pays dans un statut de paria et paralysent son développement : les entreprises hésitent à investir en Iran, de crainte de subir les foudres de la communauté internationale.
Pour l’instant, les négociations portent sur la mise en place d’un échéancier sur le principe du donnant-donnant. Les Européens, qui ont moins de contraintes sur cette question que le président Obama, pourraient rapidement suspendre les sanctions de 2010 sur les secteurs pétrolier et bancaire. Une telle mesure aurait un impact conséquent en levant les restrictions sur les transactions financières, qui freinent les échanges, et en autorisant l’Iran à retrouver sa pleine capacité d’exportation de pétrole, évaluée à 2 millions de barils par jour, contre seulement 1 million autorisé aujourd’hui.
Même s’il subsiste des blocages, les avancées sont réelles, relève Mark Fitzpatrick, de l’Institut international des études stratégiques de Londres. « Pour la première fois, dit-il, l’Iran accepte de négocier le principe d’une réduction de sa capacité d’enrichissement. En échange, les Occidentaux légitiment un programme nucléaire iranien qu’ils voulaient initialement enrayer. » Et si la négociation aboutie, poursuit-il, « elle passera alors pour l’un des plus importants accords de non-prolifération depuis la fin de la seconde guerre mondiale ».
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