Face aux contenus djihadistes, les voies de Facebook sont impénétrables
« Pourquoi avez-vous bloqué mon compte ? Je m’appelle vraiment Isis Anchalee ! » Cette internaute a beau s’énerver : malgré trois tentatives de réactivation de sa page Facebook depuis sa suspension après les attentats du 13 novembre à Paris, le réseau social n’a toujours pas accédé à sa requête.
Et pour cause : son prénom, homonyme du nom anglais de l’organisation Etat Islamique (ISIS, acronyme d’Islamic State in Irak and Syria), est motif de suspension pour la firme de Mark Zuckerberg.
Comme le relève le New York Times, un ingénieur de chez Facebook lui a présenté ses excuses sur Twitter et confié chercher la source du problème.
Le réseau social a jusqu’à présent cherché à afficher sa solidarité après les événements parisiens. Dès le vendredi soir, il a mis en place un safety check, un mécanisme pour permettre aux utilisateurs de signaler à leurs proches qu’ils étaient en sécurité, puis a proposé de teinter les images de profil des utilisateurs aux couleurs tricolores pour rendre hommage aux victimes des attentats.
Mais malgré cela, la grogne monte face aux choix de modération étranges de la compagnie de Mark Zuckerberg, d’un côté prompte à soutenir la France, mais en modérant aveuglément quand il s’agit du mot « ISIS », et d’un autre côté, réticente à supprimer les vidéos à contenu djihadiste.
Des signalements vains
L’auteur du livre Homo Cooperans 2.0, le Belge Matthieu Lietaert, a publié sur son blog une tribune largement relayée, dans laquelle il s’interroge sur l’attitude de Facebook vis-à-vis d’une vidéo postée par un média italien, et montrant l’appel de deux jeunes djihadistes belges à prendre les armes contre l’Europe. Après avoir signalé celle-ci à Facebook pour son contenu haineux, il a reçu un message de Facebook lui expliquant que celle-ci « n’enfreint pas [leurs] règles ».
Dans un autre message très largement relayé sur les réseaux sociaux, un professionnel de la modération en ligne s’agace aussi après être tombé sur plusieurs vidéos d’appel au djihad de l’Etat islamique :
« Nous avons signalé à Facebook chacune de ces vidéos pour qu’elles soient toutes retirées. Ces derniers nous répondent qu’ils ne peuvent pas supprimer les vidéos car “elles ne violent pas leurs normes communautaires”. »
Pourtant, les standards communautaires définis par Facebook sont explicites : « Facebook supprime tout discours incitant à la haine ». Mais, nuance le règlement du réseau social, partager certains contenus ne signifie pas forcément le cautionner. Si la personne partage un contenu haineux pour le dénoncer, Facebook ne le supprime pas.
C’est sans doute ce qui explique le maintien en ligne de la vidéo, publiée initialement par un député italien du Mouvement cinq étoiles.
Une modération tardive et partielle
Mardi 17 novembre, au lendemain de ces deux coups de gueule sur les réseaux sociaux, la vidéo est enfin devenue inaccessible… mais uniquement en France, et à la demande du gouvernement.
Du côté du réseau social, on confirme : « Il y a des équipes dédiées qui agissent 24 heures sur 24 pour faire tomber ces contenus : le terrorisme n’a pas sa place sur Facebook. Mais on regarde le contexte et pas seulement la vidéo : s’il s’agit de dénoncer, on considère au contraire que ces messages sont pédagogiques et on le garde, sauf si le gouvernement le demande. »
Une politique à l’efficacité contestable : la vidéo de propagande djihadiste a eu le temps de passer de 6 à 14 millions de pages vues en 24 heures au lendemain des attentats du 13 novembre, et reste accessible hors de France, alors que les autorités s’orientent vers la piste d’attaques préparées en Belgique.
Un blocage administratif
Une pétition en ligne exigeant davantage de réactivité et de sévérité dans la modération des contenus djihadistes a, depuis, été lancée. Quant à M. Lietaert, il indiquait, mercredi en fin d’après-midi, « ne pas [avoir eu] de retour de Facebook », alors que la vidéo était toujours visible dans son pays. Une incohérence difficilement justifiable à ses yeux : « C’est une crise, on peut tirer des leçons et faire comprendre à certains acteurs qu’ils ont des responsabilités. Il ne sert à rien de mettre en vitrine des drapeaux et du safety check si ce n’est pas cohérent avec une politique de fond. »
L’Assemblée nationale a voté, le 19 novembre, un amendement permettant au ministère de l’Intérieur d’« assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ». Ce qui s’étend, en droit, aux réseaux sociaux.
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