Trump : la farce vire au cauchemar
Par Frédéric Autran, Correspondant à New York @fredericautran — 10 décembre 2015 à 19:26
Au début de l’été, Donald Trump était souvent qualifié d’«extravagant», de «trublion», comme si le milliardaire apportait à la course à la primaire une petite touche de folie rafraîchissante. La folie s’est révélée bien plus profonde que prévue.
ÉDITO
En anglais, «trump» veut dire atout. Comme quoi tout le monde ne porte pas bien son nom. Car dérapage après dérapage, insulte après insulte, «The Donald» confirme à ceux qui en doutaient qu’il n’incarne pas franchement la «carte maîtresse» du parti républicain. Plutôt sa pilule empoisonnée… à libération prolongée. Six mois. Cela fera bientôt six – longs – mois que Donald Trump est candidat à l’investiture du parti conservateur pour la présidentielle de 2016. Et cinq qu’il se maintient en tête des sondages.
Le 16 juin, en annonçant qu’il entrait dans la course pour «rendre sa grandeur à l’Amérique», il avait réservé sa première crasse aux illégaux mexicains, des «violeurs» et des «criminels». Depuis, la liste des souffre-douleurs du magnat de l’immobilier s’est sérieusement allongée : gays, femmes, juifs, Noirs, musulmans. En début de semaine, sa proposition de fermer les frontières américaines aux musulmans, dans la foulée des attentats de Paris et de San Bernardino, a estomaqué le monde entier. Et une majorité d’Américains.
Au début de l’été, Donald Trump était souvent qualifié d’«extravagant», de «déjanté», de «trublion». Comme si le milliardaire, avec sa gouaille d’ancienne star de télé-réalité, apportait à la course à la primaire une petite touche de folie rafraichissante. La folie s’est révélée bien plus profonde que prévue. Et le vocabulaire a changé : les adjectifs «fasciste», «dangereux», «terrifiant» remplissent désormais les colonnes des journaux. Lesquels versent aussi dans les comparaisons : Berlusconi, Hitler, Mussolini, Marine Le Pen. Donald Trump, donc, ne fait plus rire. Il fait peur. D’après un sondage New York Times – CBS News publié jeudi, 40 % des électeurs américains disent avoir «peur» d’une présidence Trump et 24 % se disent «inquiets». Dans le camp républicain, pourtant, son avance s’accroît. Le même sondage le crédite de 35 % d’intentions de vote chez les électeurs conservateurs, plus du double de ses premiers poursuivants Ted Cruz (16 %) et Ben Carson (13 %).
Plus inquiétant, la popularité du délirant milliardaire a remodelé, assombri la course républicaine. Trump insulte les Latinos et promet de construire un mur à la frontière mexicaine ? Ses adversaires durcissent aussitôt leur discours sur l’immigration. Il s’en prend aux musulmans ? Certains, comme Jeb Bush et Ted Cruz, proposent que seuls les réfugiés syriens de confession chrétienne puissent être accueillis aux Etats-Unis. «Ne faites pas l’erreur de traiter Donald Trump comme un phénomène isolé, une célébrité narcissique unique qui, tout seul, a conduit son parti et ses hommes politiques au bord du fascisme», écrivait jeudi le New York Times dans un éditorial cinglant. En appelant à barrer l’accès des musulmans aux Etats-Unis, ce qui violerait la Constitution américaine, Donald Trump a certes choqué son propre camp. Jeb Bush l’a traité de «déséquilibré», John Kasich d’«inapte». Pour autant, sur ses douze adversaires républicains encore en lice, aucun n’a appelé à l’exclusion de Trump. Ou annoncé qu’il rejetterait sa candidature si le milliardaire venait à remporter la primaire. Obsédés par le désir de battre Hillary Clinton en 2016, le camp républicain refuse de se diviser en se défaussant de la carte Trump. Aussi toxique soit-elle.
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