The Easy Weapon

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L’ARME FACILE

On ne la voit pas tout de suite. La grande et fine main de Barack Obama, qui porte une alliance en or, cache une partie du visage et fait diversion. Pourtant cela n’échappe à personne, il y a bien un reflet mouillé sous l’œil gauche. Et on ne peut pas confondre cet effet humide avec le reste de la peau, un peu luisante. Coulant le long d’un cerne rougi, empruntant le chemin naturel de la joue, la larme brillante du Président est là, évidente comme un nez au milieu de la figure. Comment cela, le chef d’Etat du plus puissant pays au monde a du vague à l’âme ? Le chef des armées américaines ne peut retenir son émotion ? Aurait-il pété un plomb ?

Ce 5 janvier 2016, en direct de la Maison Blanche, Barack Obama évoque le meurtre des enfants innocents de Sandy Hook pour faire passer une série de mesures visant à limiter l’accès aux armes à feu. Enjeu politique important avant l’heure du bilan de ses deux mandats. Pas facile de contraindre la vente d’armes au pays de l’Inspecteur Harry, de Terminator et des sites légaux de ventes d’armes en ligne où l’on recense des centaines de milliers d’annonces : pistolets, chargeurs, fusils et silencieux sont soldés par vos voisins, juste à côté de chez vous. Dans un pays où le Congrès donne raison au lobby des armes à feu, il faut payer de sa personne pour faire passer le message, et Barack Obama doit aller au front. Pour cela, il a choisi de lubrifier son discours. En versant une petite larme. Une grosse même.

Ce n’est pas la première fois qu’il pleure. Le président américain est même un véritable crocodile. Déjà, en 2012, il pleurait pendant un discours de campagne en évoquant l’avenir des enfants de l’Amérique et en scandant «Ici, tu peux y arriver si tu essayes.» Quand il larmoie, il est toujours question d’enfant qui souffre : à chaque fois qu’il évoque la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook (Connecticut), et ses victimes «entre 5 et 10 ans», le président laisse perler son émotion. Les pleurs sont même devenus une manie : lors d’un concert récent, en écoutant la puissante voix d’Aretha Franklin chanter You Make Me Feel like a Natural Woman, le Président est attendri. Baisserait-il la garde ? Serait-il triste de quitter bientôt le pouvoir ? Son taux de testostérone, hormone soi-disant inhibitrice des pleurs, serait-il en chute libre ? Il n’a pourtant pas changé de genre. Sexuel. Il reste un animal politique. Sous le flot du liquide lacrymal contenu dans son grand corps d’homme public, il n’y a pas qu’un crocodile mais il y a aussi un alligator.

Cette semaine, l’émotion fait partie de la panoplie du stratège. En performer de génie, Obama utilise une arme parmi d’autres. La larme pour combattre les armes. Dans un combat, pleurer tétanise souvent l’adversaire et stoppe l’agression. C’est une stratégie bien connue des enfants. En signe de vulnérabilité, Obama esquisse donc un rapprochement avec le peuple pour obtenir leur soutien dans sa politique. Il est aussi à la mode arty : Marina Abramović a montré que les hommes pleurent aussi facilement que les femmes dans sa performance The artist is present au MoMA, en 2010. «Te voilà donc redevenu homme, puisque tu pleures», lit-on dans un roman de Jules Verne, ce qui hors contexte et en toutes circonstances, nous va. Messieurs, sortez vos mouchoirs.

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