Aux Etats-Unis, le succès des candidats antisystème signe la faillite des partis politiques
Il est loin de temps où l’on pouvait croire que l’élection du successeur d’Obama à la Maison blanche se jouerait entre les dynasties Bush et Clinton, à coup de millions pour financer des campagnes mirobolantes. Les derniers mois ont porté au premier rang des candidats inattendus, qui remettent profondément en cause la manière de faire des deux grands partis. C’est le succès de Donald Trump depuis le mois de mai dernier qui marque en particulier cette évolution.
Ainsi, dans l’Iowa, premier Etat à voter dans les primaires lundi 1er février, le magnat de l’immobilier Donald Trump devance dans les sondages le sénateur du Texas Ted Cruz et le sénateur de Floride Marco Rubio. Dans le New Hampshire, deuxième Etat à voter le 9 février, Trump est également en tête. Si les 50 États du pays votent chacun leur tour de février à juin, les premiers États à voter jouent un rôle plus important que les suivants, car l’effervescence médiatique autour des premiers résultats détermine en partie la suite des événements. Une investiture de « The Donald » est donc sérieusement envisagée.
Comment en est-on arrivé là ? Une explication commence à circuler, assez sévère avec l’establishment du Parti républicain. Elle pointe la divergence croissante depuis les années 1980 entre les objectifs de la base du parti, celle qui plébiscite aujourd’hui Donald Trump, et ceux des élites de ce même parti. Depuis longtemps maintenant, les stratèges et les grandes figures politiques du Grand Old Party (GOP) privilégient dans leurs programmes des politiques fiscales favorables à leurs riches donateurs, notamment dans le secteur de la finance. En 2001 et 2003, G.W. Bush avait ainsi abaissé les taux d’imposition des tranches de revenus les plus élevées. Les républicains du Congrès ont passé une partie de leur mandat à détricoter la loi Dodd-Frank de 2010, qui visait à réformer le secteur financier. Le GOP a également proposé des mesures globalement favorables à l’immigration de travail réclamée par les grandes entreprises.
Pendant ce temps, l’électorat de base du parti, essentiellement constitué des classes moyennes blanches, voyait sa situation économique se détériorer. Le retour au plein-emploi au lendemain de la crise des subprimes ne s’est pas accompagné d’une hausse des salaires. L’endettement des ménages s’accroît. Les parents pourront-ils financer les études des enfants et rembourser leurs prêts immobiliers ? L’immigration ne vient-elle pas accroître la pression sur les salaires des moins aisés ?
Malgré le flou qui les entoure, les propositions de Trump rassurent cette classe moyenne angoissée : il est, comme on le sait, violent et provocateur sur l’immigration (il a été rejoint sur ce point par les autres candidats républicains). Faisant campagne avec son propre argent, il n’a pas à plaire aux milliardaires du pays et propose la fin des exemptions fiscales pour les gestionnaires de fonds spéculatifs.
Le phénomène Trump met en lumière un malentendu devenu manifeste au début de la présidence Obama, lorsque le mouvement ultraconservateur radical des Tea Parties avait secoué le pays. Comme le dit le journaliste David Frum dans le dernier numéro de The Atlantic, « en dépit de toute évidence, les donateurs du GOP ont interprété le Tea Party comme un mouvement favorable aux propositions des éditoriaux du Wall Street Journal ». Or, les militants de ce mouvement voulaient la protection des classes moyennes avant la rétribution des élites.
Les questions de société jouent certes un rôle important pour les républicains, mais elles semblent passer au second rang : Ted Cruz, beaucoup plus conservateur que Donald Trump sur les valeurs religieuses et morales, n’est pas parvenu à le dépasser. En se ralliant à Trump la semaine dernière, Sarah Palin apporte d’ailleurs à ce dernier une partie du vote évangélique.
La faillite du Parti républicain trouve un équivalent côté démocrate. En effet, on peut interpréter le succès du sénateur du Vermont Bernie Sanders, candidat rival d’Hilary Clinton pour l’investiture démocrate, comme un reflet de celui de Trump. Contre un Parti démocrate favorable depuis Bill Clinton au « big business » et à Wall street – une attitude occultée par des mots ordres progressistes sur les questions de société, comme la défense des minorités, du mariage gay et de l’avortement-, Sanders incarne lui aussi la défense des classes moyennes et des jeunes diplômés. Il se prononce contre les traités de libre-échange et pour plus de redistribution, à l’européenne. Finançant sa campagne avec des petites contributions en ligne, il refuse les grands donateurs et leurs injonctions.
Ainsi, même si le choix de candidats extrémistes est inquiétant, le retour de l’électeur dans le processus démocratique est la bonne nouvelle des primaires américaines de 2016. Depuis l’arrêt Citizens Unitedde 2010, par lequel la Cour suprême ôtait tout plafond aux contributions de campagne des entreprises et des syndicats, les observateurs s’inquiétaient en effet du rôle démesuré de l’argent dans les campagnes électorales et la politique du pays en général. L’establishment des deux Partis semblait s’être résigné à sacrifier l’intérêt de ses électeurs à celui de ses donateurs.
On peut donc voir dans la campagne de 2016 la fin d’une époque de la politique américaine, celle de l’argent-roi – car l’électeur, in fine, refuse de jouer le jeu. En délaissant les candidats « mainstream », dont les programmes privilégient les élites contre les classes moyennes, il montre que l’argent des donateurs ne peut acheter une élection. La démocratie américaine montre ici sa résilience.
Que va-t-il se passer maintenant ? Les partis sauront-ils réagir ? Le prochain président aura vraisemblablement à nommer plusieurs nouveaux juges de la Cour suprême. Celle-ci serait bien inspirée deremettre en place un système de financement restrictif de la vie politique. Ceci permettrait aux politiques de redevenir attentifs à leur véritable électorat.
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