US: ‘Voters Will Turn to Candidate Most Likely to Protect Them’

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INTERVIEW

Etats-Unis : «Les électeurs se tourneront vers le candidat le plus apte à les protéger»

Par Isabelle Hanne — 8 avril 2016 à 19:21

Les attentats et la crise migratoire en Europe ont remis les questions internationales au centre du débat. Un terrain qui permet aux candidats de se différencier, souligne la politologue Alexandra de Hoop Scheffer.

Etats-Unis : «Les électeurs se tourneront vers le candidat le plus apte à les protéger»

Alexandra de Hoop Scheffer, politologue, spécialiste des Etats-Unis, des relations transatlantiques et des questions de sécurité internationale, est directrice à Paris du German Marshall Fund of the United States et maître de conférences à Sciences-Po. Elle analyse les positions des candidats aux primaires américaines sur le front de la politique étrangère.

Le monde extérieur est-il un sujet dans la campagne ?

La politique étrangère, qui est très rarement un enjeu électoral aux Etats-Unis, s’est imposée au premier plan de la campagne de 2016 et des préoccupations des Américains. Les attentats de Paris et la crise migratoire en Europe ont contribué à ériger le terrorisme et l’immigration au même niveau d’inquiétude pour les Américains que l’économie nationale et l’emploi. Ils ne peuvent plus ignorer la crise en Syrie et au Moyen-Orient, l’affirmation militaire de la Russie ou l’émergence de la Chine comme partenaire économique et climatique, mais aussi concurrent stratégique.

Les questions de politique étrangère occupent une place importante dans la bataille des primaires, pendant laquelle les candidats cherchent à différencier leurs visions et à montrer aux Américains qu’ils peuvent leur faire confiance, en tant que diplomate et commandant en chef des armées. Les électeurs se tourneront vers le candidat qui leur paraîtra le plus apte à les protéger et à défendre les intérêts américains à l’étranger.

Hillary Clinton se démarque-t-elle de Barack Obama sur ce terrain ?

Architecte de la politique étrangère de Barack Obama, Hillary Clinton se réclame de son héritage, tout en y apportant des nuances, déjà perceptibles quand elle était secrétaire d’Etat. Ce qu’ils ont en commun, c’est avant tout la volonté d’utiliser le plus efficacement possible l’ensemble des instruments de la puissance américaine – diplomatie, sanctions économiques, force militaire. Une approche qu’elle a adoptée comme ligne directrice dès 2009, sous l’appellation smart power. Décrite par un de ses anciens collaborateurs, Kurt Campbell, comme une «démocrate faucon», Clinton a défendu au sein de l’administration Obama les positions les plus interventionnistes : sur la Libye en 2011 ou sur la Syrie, pour laquelle elle avait plaidé dès 2012 pour l’armement des forces de l’opposition. Elle était aussi en faveur du maintien des troupes américaines en Irak après 2011 et d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie en 2015. Elle n’est toutefois pas favorable à la présence de troupes au sol en Irak et en Syrie.

L’Amérique peut-elle «redevenir une grande nation» en s’isolant du monde et en érigeant des murs, comme le voudrait Donald Trump ? Y a-t-il une «doctrine Trump» cohérente ?

Les principes de la politique étrangère de Trump sont à relire dans son ouvrage de 2011, Time to Get Tough : il s’agit avant tout de défendre les intérêts nationaux des Etats-Unis ; faire la guerre pour la «gagner» ; rester fidèle envers les alliés et se méfier des ennemis des Etats-Unis ; conserver la supériorité technologique ; anticiper les menaces avant qu’elles n’émergent. Une des promesses de Trump est de renforcer l’armée américaine, sans pour autant fournir de détails sur la manière d’y parvenir.

La «doctrine Trump» n’est ni interventionniste ni isolationniste – il s’est opposé à l’intervention en Irak de 2003, mais a soutenu celle en Afghanistan en 2001, tout en critiquant la durée de l’engagement américain. Elle est transactionnelle, fondée sur la négociation et l’obsession d’obtenir des «better deals» [«meilleurs accords», ndlr] aussi bien avec les amis que les ennemis du pays.

La doctrine Trump se résume en deux mots : «America first» [«l’Amérique d’abord»], mais le reste du monde doit en supporter le coût. Par exemple en faisant payer les alliés pour la présence militaire américaine en Europe comme en Asie, et en ouvrant une guerre commerciale avec la Chine. La vision de Trump des relations internationales est ambiguë : d’une part, il plaide pour un rôle plus musclé des Etats-Unis dans le monde, d’autre part, s’il était élu président des Etats-Unis, il demanderait aux alliés des Etats-Unis de prendre davantage leur part du fardeau sécuritaire dans leurs régions respectives.

Une vision partagée par l’administration Obama avec son «leading from behind» [«diriger depuis l’arrière»] qui a contribué à régionaliser le rôle de gendarme au Moyen-Orient, en déléguant par exemple la gestion de la guerre civile au Yémen à l’Arabie Saoudite.

Le prochain locataire de la Maison Blanche redessinera-t-il la carte des alliances mondiales ?

La politique étrangère d’Obama a déjà largement contribué à redessiner la carte des alliances. Sa gestion du printemps arabe, et en particulier le lâchage du président égyptien Hosni Moubarak, en est une illustration. La signature d’un accord nucléaire avec l’Iran, la normalisation des relations avec Cuba en sont d’autres. Trump ou même Clinton poursuivraient en quelque sorte cette politique, mais pourraient se montrer encore plus fermes à l’égard de pays comme la Russie ou la Chine, ou d’alliés comme l’Arabie Saoudite. Et dans le cas de Clinton, renforcer certaines alliances comme celle avec Israël.

Trump dit pourtant du bien de Vladimir Poutine…

Ce type de discours ne signifie pas une nouvelle ère de coopération entre Etats-Unis et Russie. C’est une manière indirecte de critiquer la «faiblesse» du leadership d’Obama : il estime que l’actuel locataire de la Maison Blanche n’a pas su se faire respecter par Vladimir Poutine, en lui accordant trop de concessions en Ukraine et en Syrie.

Quelles sont les visions des numéros 2 dans la course, le républicain Ted Cruz et le démocrate Bernie Sanders ?

Ted Cruz préconise une augmentation du budget de défense, mais rejette toute perspective d’occupations militaires de long terme, qualifiant l’intervention de 2003 en Irak d’erreur et jugeant les campagnes militaires en Irak et en Afghanistan beaucoup trop longues. Il ne partage pas la vision de Trump sur l’Otan, estimant que l’engagement militaire américain en Europe est toujours aussi important. Mais il est d’accord avec Trump sur l’idée qu’il ne faut plus accepter de réfugiés à la suite des attentats de Paris.

Bernie Sanders s’oppose, lui, à toute augmentation du budget de défense, surtout si cela induit des coupes dans les programmes sociaux. Il rejette l’usage unilatéral de la force militaire et privilégie alliances et coalitions. Il juge que l’Arabie Saoudite et la Turquie devraient prendre davantage leurs responsabilités dans la lutte contre l’Etat islamique, tandis qu’une intervention militaire américaine en Syrie induirait selon lui une «guerre perpétuelle» dans la région. Sanders se différencie de Clinton par son opposition à la guerre de 2003 en Irak. Il estime que la guerre doit être le dernier recours.

Isabelle Hanne

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