LES CLUBS, LIEUX DE REFUGE ET D’ÉMANCIPATION
Comme la culture disco, les boîtes de nuit et les bars sont aux Etats-Unis, depuis cinquante ans, des havres pour les minorités homo, noire, latino…
Parmi le flot de réactions à chaud à la tuerie d’Orlando parues sur les réseaux sociaux dans la journée de dimanche, une publication du label californien Dark Entries a réchauffé le cœur des amateurs de dance music particulièrement touchés par ce crime haineux : un vieux cliché photomaton du producteur de disco électronique Patrick Cowley embrassant à pleine bouche le chanteur Jorge Socarras, dont il était l’amant et le collaborateur au sein du duo Catholic pendant la deuxième moitié des années 70.
Contre-culture.
Cette publication faisait suite à l’appel de l’écrivain K.M. Soehnlein de «submerger le monde sous des photos d’hommes s’embrassant» en réponse au mobile d’Omar Mateen, devenu enragé, d’après son père, après avoir été spectateur d’un baiser entre hommes dans la rue. Mais elle permet aussi de préciser la partie de la population américaine visée et le contexte très spécifique dans lequel la tuerie a été perpétrée : un club gay largement fréquenté par les latinos américains, c’est-à-dire un groupe doublement minoritaire. Et ce, dans un pays où la nation se conçoit comme la somme de communautés aux contours et caractères propres, plutôt que comme un tout que cimenteraient les principes d’universalisme républicain, comme en France.
Au-delà de la revendication de l’Etat islamique et de la folie de Mateen, l’image rappelle à quel point le club dans ses diverses formes (ballroom, bar, discothèque géante) constitue un lieu de refuge et de convergence des luttes fondamental pour les minorités américaines depuis cinq décennies. Plusieurs ouvrages de référence parus ces dernières années, comme Love Saves the Day de Tim Lawrence ou Turn the Beat Around de Peter Shapiro (édité en France par Allia en 2008) racontent l’émergence de cette contre-culture et l’histoire sociale méconnue derrière l’hédonisme revendiqué du disco et de ses suites (Hi-NRG, house, garage) ou les clichés flamboyants de beautiful people au Studio 54 de New York.
Réinventée.
Premier établissement privé reconnu dans la chronologie des clubs disco américains, le Loft, ouvert par David Mancuso à son domicile de Greenwich Village en 1970, était envisagé comme une échappatoire aux discothèques traditionnelles, où les homosexuels étaient sujets aux harcèlements des clients autant que du service d’ordre ou des policiers. Grâce à leurs systèmes d’adhésion, le Loft puis la Gallery de Nicky Siano ou l’utopique Paradise Garage fondé par Michael Brody en 1977 sont devenus autant de havres et de lieux d’expérimentation sexuelle, culturelle et sociale pour les populations les plus précaires et les plus vulnérables de la communauté homosexuelle américaine, notamment les Noirs et les Latinos.
L’émergence des sous-genres de dance music qui ont suivi l’explosion du disco dans la culture grand public à partir de 1974 est presque systématiquement liée à des lieux d’émancipation emblématiques de leur ville ou de leur quartier : le EndUp de San Francisco d’où a émergé la Hi-NRG, le Warehouse, le Music Box et le Powerplant de Chicago où est née la house music, le Zanzibar Club de Newark dans le New-Jersey où furent plantées les graines du garage. Sur leurs pistes de danse ou dans leur backrooms, les danseurs et les DJ ont accouché de musiques inédites et la culture gay a communié, s’est extasiée, s’est libérée. A l’abri du monde, elle a inventé et s’est réinventée, sans cesse. Et elle continue de le faire. Loin des grands raouts «EDM» (electronic dance music) qui rassemblent régulièrement des centaines de milliers de jeunes wasps hétérosexuels, l’une des scènes les plus vigoureuses et enragées de la musique électronique actuelle est en train d’émerger autour du producteur texan Lotic, jeune figure noire et gay aussi engagée dans la reconnaissance de sa musique aventureuse et débridée que de son identité : plurielle, queer, transcommunautaire.
Parce qu’ils sont par définition des lieux d’abandon et de plaisir, on a longtemps oublié de regarder les clubs comme des avant-postes de revendication et d’avant-garde sociétale. La tuerie au Pulse vient rappeler qu’ils n’ont jamais cessé de l’être, en toute insouciance
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